Péninsule ibérique : les enjeux de la lutte des classes
Il y a trente huit ans, le 25 avril 1974, la mobilisation des masses portugaises déferlait, démantelant l’État bourgeois salazariste, mettant en cause la propriété privée des moyens de production avec les occupations de terres et d’usines. L’impact de la révolution portugaise se répercutait en Espagne franquiste [1].
Mais, en Espagne, le Parti communiste (PCE), le parti socialiste (PSOE) et les appareils syndicaux signaient alors, avec une fraction de l’appareil franquiste, le pacte de la Moncloa, protégeant l’État franquiste de la mobilisation des masses. La « transition » cadenassait la mobilisation et préservait l’unité de l’État espagnol ; elle défend les intérêts généraux du capital en Espagne contre le prolétariat et a jeunesse. Au Portugal, la politique contre-révolutionnaire du PSP et du PCP, des appareils syndicaux permettait la reconstruction d’un État bourgeois dans le cadre de la République parlementaire. Depuis, nombre de positions acquises par le prolétariat et la paysannerie pauvre en 1974 ont été liquidées. Mais la faiblesse de l’économie portugaise face marché mondial explique la fragilité de la bourgeoisie portugaise. La classe ouvrière cherche à renouer avec les mobilisations qui ont conduit à la chute de la dictature. C’est pourquoi, pour mener son offensive, le gouvernement doit s’appuyer en permanence sur la collaboration étroite des directions du mouvement ouvrier. Aujourd’hui, en Espagne et au Portugal, le prolétariat et la jeunesse sont à la recherche d’une issue ouvrière à la crise du capitalisme. Les puissantes mobilisations mettent ouvertement en cause l’existence des gouvernements bourgeois, voire même de l’État en Espagne. |
Dessin : Street Art, Valencia.
Lac des cygnes : Massacre d’un innocent. Les officiers de police seront condamnés à 2 ans de prison en 2009, puis graciés par le gouvernement. |
Au Portugal, suite au 15 septembre, alors que se développent nombre de mobilisations (chantiers naval de Viana, cheminots, enseignants…), la CGTP appelle à une manifestation nationale le 29 septembre et à une « grève générale »… le 14 novembre… après le vote du budget. Dans le même temps, les directions syndicales participent aux “négociations” sur la réforme du travail dans les ports et aux réunions avec le gouvernement et le patronat.
En Espagne, alors que la mobilisation du 26 septembre met en cause le régime, le 17 octobre, Ignacio Fernandez Toxo, secrétaire des CC.OO, et Cándido Méndez de l’UGT appellent à la grève générale le 14 novembre. Dans le même temps, le Comité exécutif de la CES dont Ignacio Fernandez Toxo est président, appelle à une journée d’action et de solidarité ce jour là « en vue de mobiliser le mouvement syndical européen derrière les politiques de la CES telles que décrites dans le contrat social pour l’Europe ». Opposée au TSCG, la CES prône « un vrai dialogue social », la « participation effective des partenaires sociaux dans la gouvernance économique européenne et les plans nationaux de réforme », un « pacte de croissance »… Bref, l’association des syndicats au maintien de la « cohésion économique, sociale et territoriale » dans chaque État de l’Union
Toxo indique : « Cette grève est différente des autres, car c’est une grève européenne. C’est au niveau de l’Europe que nous pourrons engranger des succès ». Cela devient le discours de tous les appareils syndicaux qui participent au « dialogue social » avec leurs gouvernements respectifs. Quant aux syndicats dits « alternatifs », sans la moindre critique de l’orientation de la CES et des syndicats nationaux, ils ont présenté le 14 N comme une « étape vers une grève européenne ».
C’est cette orientation qui est responsable du fait que la grève dite européenne du 14 novembre n’a pas eu de caractère européen. En outre, dans beaucoup de pays, il n’y a même pas eu d’appel à la grève. De fait, c’est la situation de la lutte des classes dans chaque pays qui a été déterminante. Le 14N, il n’y a eu de grève massive ( « générale ») d’une journée qu’en Espagne et au Portugal. Si la mobilisation a été importante en Belgique, elle n’a pas été « générale ». En Grèce, la confédération GSEE (secteur privé) avait lancé un arrêt de travail de 3 heures pour le 14N et la manifestation rassemblait à peine 10 000 personnes (contre 100 000, lors du vote du budget, 10 jours avant). En Italie, seule la CGIL appelait à 4 heures de grève : c’est la jeunesse qui est massivement descendue dans la rue. À Rome, où les lycées sont occupés depuis des semaines, étudiants, lycéens et enseignants ont cherché à manifester en direction du Parlement où se discutait le budget. La répression violente a particulièrement touché la jeunesse. Et, en France, les manifestations (appel CGT-CFDT-UNSA-FSU-Solidaires) ont été squelettiques.
Et quand la grève générale met face à face les deux classes fondamentales, elle ne permet pas de pour autant de résoudre la question du pouvoir.
Comme en Espagne, les mobilisations de la classe ouvrière au Portugal ont mis à l’ordre du jour la nécessité d’en finir avec le gouvernement de Cohelo au pouvoir depuis à peine un an et demi. Les sondages placeraient à nouveau les partis de « gauche » devant la « droite ».
Mais quel gouvernement peut assurer la défense de la classe ouvrière et de la jeunesse ?
Le 5 octobre, s’est tenu à Lisbonne un « Congrès démocratique des alternatives » : L’initiative est partie de l’Association du 25 Avril (composée de militaires qui ont participé à la révolution d’avril 1974). Participaient à cette rencontre de nombreux dirigeants de la CGTP et de l’UGT, plusieurs députés du PS et du Bloc de gauche et des centaines de militants de toutes tendances (près de 2000 présents) Le PCP n’y participait pas. Un manifeste intitulé « du contre au comment » en est issu. Après avoir rappelé son « respect de la constitution », ce texte propose une « réforme fiscale » pour des impôts plus progressifs ; un fonds souverain afin de renégocier la dette. Il se prononce pour « la démocratisation des institutions de l’Union européenne » et le remplacement du « mémorandum d’entente » de la « troika » par un « mémorandum de développement » soumis à « un vaste débat participatif, national, civil et politique ».
Cette orientation interdisait de constituer un regroupement de front unique ou allant vers la réalisation du front unique.
Ce manifeste met en avant un programme de « relance » et de préservation de l’économie capitaliste au Portugal, comme en font la demande un certain nombre d’économistes bourgeois, et dans la droite ligne des propositions de la CES de juin 2012. Ce programme est une réponse traitre à l’aspiration des masses portugaises à renouer avec la mobilisation révolutionnaire de 1974.
Quel programme, peut défendre les intérêts des travailleurs et des jeunes ?
Il faut dire clairement qu’il est impossible de défendre les salaires, les conquêtes sociales, le droit à un enseignement public, gratuit et de qualité en acceptant de payer la dette des capitalistes, en préservant la propriété privée des moyens de production. Et que la « démocratie participative » n’a pour but que de soumettre la classe ouvrière et la jeunesse aux besoins du capital. Renouer avec 1974, c’est y opposer le « contrôle ouvrier » sur la production. Cela implique l’expropriation des banques, des entreprises.
Seul un gouvernement ouvrier peut l’imposer ; il faut pour cela construire un Parti ouvrier révolutionnaire. Mais, c’est en combattant pour le Front unique des organisations ouvrières, syndicats et partis (dont le PSP) et contre toute alliance avec des fractions de la bourgeoisie (telle le Congrès Démocratique des alternatives) que des pas importants peuvent être franchis dans la construction d’un tel parti.