Péninsule ibérique : d’importants combats de classe
Un bref retour en arrière montre l’importance des mobilisations qui se sont développées en Espagne et au Portugal dans la suite des mobilisations révolutionnaires de la jeunesse et du prolétariat en Tunisie, puis en Egypte, à partir de janvier 2011.
Les gouvernements de Zapatero (PSOE), de 2004-2008, puis 2008-2011 ont pris en charge la défense du capitalisme espagnol. Mais ils n’ont pu le faire qu’avec la collaboration étroite des appareils syndicaux : l’UGT et les CCOO (dirigées par IU, l’ex-parti stalinien). Cette politique est à l’origine de la défaite du PSOE en décembre 2011, et de la crise profonde dans laquelle il se trouve plongé aujourd’hui. Appuyé sur les coups portés antérieurement, le gouvernement Rajoy (Parti Ppopulaire) poursuit l’offensive contre les acquis fondamentaux de la classe ouvrière espagnole. Mais moins de 6 mois après son écrasante victoire aux législatives, il est confronté à d’importantes mobilisations dont trois grèves générales. En Espagne, une grève générale requiert beaucoup d’investissement militant : dès minuit et durant 24 heures : piquets de grève, actions coups de poings, manifestations, puis marche de nuit.
Ce sont surtout les classes moyennes appauvries qui se sont mobilisées. Dans ce mouvement spontané de dizaines de milliers de jeunes (et de moins jeunes), les jeunes diplômés chômeurs ont pris une place importante. L’occupation de places publiques par le mouvement du 15M faisait ouvertement référence à celle de la place de la Kasbah à Tunis et à celle de la place El Tahrir au Caire : « De Tahrir à Madrid, au monde, world revolution » lisait-on sur la banderole de la Puerta del Sol. En dépit de beaucoup de brouillard politique, le régime politique était ouvertement mis en cause par des mots d’ordre tels que : « ils l’appellent la démocratie et ça ne l’est pas » ; « ils ne nous représentent pas ».
Dans le même temps, se développent les mobilisations contre les expulsions de logements ; celles des victimes des fraudes bancaires…
À partir de fin 2011, la classe ouvrière, les fonctionnaires de l’éducation, de la santé se mobilisent.
Le 29 mars 2012, la grève générale est massive, dans le privé et le public (il y a eu treize « grèves générales » depuis 1976). El País parle de 170 000 personnes à Madrid et presque 300 000 à Barcelone dans l’après-midi... C’est la mobilisation la plus importante depuis 1936 : 800 000 manifestants dans toute l’Espagne.
Les mots d’ordre des manifestants sont : « Non à la réforme du travail ! », « Grève générale illimitée ». Mais l’UGT et les CC.OO. réclament la « concertation » avec le gouvernement Rajoy pour obtenir « la modification de la réforme ». Les confédérations n’exigent pas le retrait de la loi de « réforme du marché du travail ». Ignacio Fernandez Toxo, secrétaire des CC.OO, et président de la CES (Confédération européenne des syndicats) l’affirme clairement : « La grève est une grande occasion pour changer de cap et ouvrir une phase de dialogue. Nous sommes ouverts à la négociation, nous avons des propositions et des alternatives ». La loi est donc votée sans problème.
Le 22 mai 2012, c’est la « marée verte » : des dizaines de milliers d’enseignants portant le t-shirt vert, de parents et d’enfants, de lycéens et d’étudiants défilent à Barcelone, à Madrid et dans nombre d’autres villes. Dans plusieurs communautés autonomes, les budgets de l’éducation comme de la santé ont déjà été soumis à des coupes drastiques. Des mouvements de protestation ont déjà eu lieu comme à Madrid en octobre 2011, en Galice, en Catalogne, en Castille-la-Manche et en Navarre. Mais c’est la première journée de grève nationale qui réunit du primaire à l’université, enseignants et autres personnels, parents et jeunes.
Le 30 mai, commence la grève des mineurs en Asturies. Les confédérations CCOO et UGT sont contraintes d’appeler à la grève générale le 18 juin. Mais elles restreignent l’appel aux seuls bassins miniers, alors que les travailleurs des transports se mobilisent aussi. Deux mois durant, la grève des mineurs est soutenue par toute la population des régions minières, mais isolée par la politique des appareils. La « marche noire » des mineurs s’avance sur Madrid où elle arrive le 10 juillet. La manifestation spontanée est massive et atteste du soutien de milliers de travailleurs et de jeunes. Le 11 juillet, une manifestation de solidarité a lieu à Barcelone ainsi qu’à Madrid. Au même moment, le 11 juillet, le Premier ministre Mariano Rajoy annonce un nouveau plan de rigueur de 65 milliards d’euros dans le but de réduire le déficit de 8,9% du PIB fin 2011 à 6,3% en 2012. À cela s’ajoute la mise en place "d’hispano-obligations", un système de mutualisation de la dette : cela permettrait aux régions très endettées de se financer moyennant « un plus grand contrôle de l’Etat central et d’engagements très stricts sur les objectifs de réduction des déficits ». Des manifestations spontanées de fonctionnaires, de personnels de santé, de chômeurs, de pompiers et même de policiers se déroulent alors tous les jours : le 19 juillet, elles touchent 80 villes d’Espagne.
Le 11 septembre 2012, jour de la Diada (fête nationale de la Catalogne), c’est dans cette situation qu’un million et demi de personnes défilent à Barcelone pour l’indépendance de la Catalogne. Mais là, le gouvernement de droite de CiU avait aussi appelé à manifester.
Le 15 septembre, une foule de manifestants venus de toute l’Espagne envahit Madrid pour protester contre la politique de rigueur. La manifestation était convoquée par une réunion tenue le 25 juillet à l’initiative des syndicats (CCOO et UGT), et à laquelle ont participé plus d’une centaine d’organisations populaires. Alors que de larges couches de travailleurs, de militants et de responsables souhaitaient un appel à la grève générale, les directions syndicales faisaient adopter, par cette assemblée nommée « sommet social permanent », une déclaration annonçant que tous « les instruments de la Constitution » seraient utilisés pour exprimer le rejet de mesures gouvernementales demandant au gouvernement Rajoy « qu’il convoque un référendum ». Pendant tout le mois d’août, des manifestations et des rassemblements se tenaient tous les vendredis, face aux préfectures et aux sièges des ministères. Dans le même temps, d’importantes discussions traversaient les collectifs du 15M pour savoir s’il fallait occuper le congrès lors de la présentation du budget ou simplement l’entourer. Le 15 septembre, en même temps que la marche convoquée par les syndicats se déroulait une manifestation alternative convoquée par le Bloc critique (CGT, Attac, Wicri Ecologistas en Accion, Juventud sin Futuro, Cristianos de Base/Redes, Asamblea Feminista, Izquierda Anticapitalista…) avec l’appui du 15M
Le 25 septembre, à Madrid, à l’appel de quelques 80 collectifs, des dizaines de milliers de personnes tentent « d’encercler » le Palais du Congrès aux cris de « Démocratie séquestrée ! », « Gouvernement démission ! », « Dehors ! ». L’exigence d’une Assemblée constituante est aussi avancée. Les manifestants se heurtent au dispositif de 1 500 policiers anti-émeutes et la répression est massive. Le lendemain, 26 septembre, à la démission du gouvernement, les manifestants ajoutent la libération des détenus arrêtés la veille : « nous n’avons pas peur ; manifester c’est faire de la politique ; prendre la parole, c’est faire de la politique » ; « revendiquer nos droits, c’est faire de la politique ».
Le mouvement « des indignés » commence alors que 500 000 personnes manifestent à Lisbonne et dans onze villes portugaises contre le troisième plan de rigueur du gouvernement de José Sócrates (Parti socialiste portugais). Ces jeunes, organisés à partir du réseau social Face book demandent le droit à l’emploi (le Portugal connaît un taux de chômage dépassant les 11 %), l’amélioration des conditions de travail et la fin de la précarité. La chanson du groupe Deolinda devient l’hymne du mouvement ( « Que parva que sou » (quelle idiote je suis) : « Je suis la génération sans rémunération (bien contente déjà, si je peux décrocher un stage/Je suis de la génération qui habite chez papa-maman ».) Onze jours après, le gouvernement de José Socrates (Parti socialiste) tombe. À Lisbonne, la « Génération rasca », la génération « dans la mouise », manifeste jusqu’au 4 juin, veille des élections législatives.
Le 5 juin, la « droite » l’emporte aux législatives. Mais le taux d’abstention est record (41%). Le Parti Socialiste qui formait la majorité sortante passe de 36,56% en 2009 à 28,1%. Le Bloc de Gauche s’effondre (de 9,81% à 5,19%) et perd la moitié de ses députés. Dans le cadre d’une « alliance rouge-verte (CDU), le Parti Communiste se maintient avec 7,86%.
Pedro Passeoes Cohelos, le président du PSD (Parti social-démocrate) devient Premier ministre. Il s’appuie sur une coalition PSD- CDS/PP. Dès le 1er octobre 2011, des dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues de Lisbonne et de Porto contre le nouveau plan d’austérité annoncé par le gouvernement Coelho. Nouvelles coupes dans les salaires et les pensions ; réduction des allocations chômage, des allocations familiales ; suppression des primes de fin d’année et augmentation de la durée de travail hebdomadaire de 2 h30 (soit une baisse de 7% des salaires) ; augmentation des impôts, fermetures de services publics et coupes dans les budgets de l’enseignement, de la santé…
Le 24 novembre 2011, après le vote du budget, la CGTP et l’UGT appellent à 24 heures de grève générale contre les mesures d’austérité.
La CGTP se prononce « contre l’exploitation et l’appauvrissement ; pour un Portugal développé et souverain ; pour l’emploi, salaires, droits et services publics ».
Puis le 12 mars 2012, c’est une troisième grève générale à l’appel de la CGTP (la première ayant eu lieu en novembre 2010). CGTP et UGT se divisent sur la réforme du code du travail : en janvier, seule l’UGT signe l’accord sur la réforme du Code du travail qui facilite les licenciements, mais la CGTP l’a aussi négocié. En mai, c’est la grève des contrôleurs aériens contre les coupes budgétaires, puis en août, les manifestations de médecins d’enseignants…
10 % de la population manifestent dans tout le pays, dont au moins 500 000 dans la capitale. C’est la plus grande manifestation depuis le 1er mai 1974 après la chute de la dictature de Salazar. Le 7 septembre, le gouvernement de Cohelo annonce la Taxe sociale unique (TSU) : il s’agit d’augmenter les cotisations sociales des salariés de 11% à 18% et de réduire dans le même temps les cotisations patronales de 23,75% à 18%. Cela représente un mois de perte de salaire.
Les manifestants se saisissent de l’appel lancé mi-août par un collectif de chômeurs et de précaires pour réagir à l’annonce du gouvernement, prenant de court les appareils syndicaux. Au dernier moment la CGTP doit se rallier à la manifestation. Craignant que le feu soit mis aux poudres, conseillé par une fraction du patronat, le gouvernement fait machine arrière : il gèle la TSU, et annonce des négociations entre gouvernement, syndicats et patronat.
Au moment où à Madrid les manifestants mettent ouvertement en cause le régime, à Lisbonne, la manifestation se termine place d’Espagne en signe de solidarité.
Les organisations ouvrières au Portugal :
Les partis politiques portugais sont créés à partir de la fin de la dictature (1974).
PCP : (parti communiste, fondé en 1921), 14 députés (2011)
PSP : Partido Socialista, fondé en 1973, la social-démocratie ; António José Seguro ; 74 sièges/ (2001)
Bloc de gauche (Bloco de Esquerda, BE) : il est issu d’une union de différents partis de la gauche « radicale » en 1998. (Fusion du Parti Socialiste Révolutionnaire (PSR), de l’Union démocratique populaire (UDP), du Política XXI (PXXI) et du Front de gauche révolutionnaire) : 8 députés (en 2001) Différents groupes se réclament plus ou moins du trotskysme. PEV - Partido Ecologista « Os Verdes », créé en 1981 ; coalition avec le PCP ; 2 députés PSD : Parti Social Democrate, fondé en 1974 sous le nom de Parti populaire démocratique (Partido Popular Democrático, PPD ; souvent qualifié de « centre-droit »). Depuis 1976, il a prise le nom de PPD/PSD. Pedro Passos Coelho, homme d’affaires, porte-parole du groupe parlementaire, est l’actuel Premier ministre. CDS-PP : Centro Democrático Social - Partido Popular, fondé en 1974, droite. 24 députés (2011). Les deux principaux syndicats :
CGTP (Confederação Geral dos Trabalhadores Portugueses) : la plus grande confédération portugaise fondée en octobre 1970, pendant la dictature fasciste de Marcelo Caetano, par plusieurs syndicats et des opposants à la dictature Liée au PCP, elle a intégré des militants liés au catholicisme, à BE, au PS. Elle est affiliée à la CES.
UGT (União Geral de Trabalhadores) : fondée en 1978, proche du PS, l’UGT est affiliée à la CES et à la CSI. |