Grève générale du 14N
Le 14 novembre 2012 (14 N), la grève et les manifestations ont été massives en Espagne et au Portugal. Cette mobilisation, la plus importante depuis le 24 avril 1974 au Portugal, n’a pas surgi de rien. Elle s’est s’appuyée sur les développements antérieurs de la lutte des classes au Portugal et en Espagne, lesquels intègrent des éléments d’auto-organisation et attestent d’une certaine maturation politique.
Street art - Policier infiltré, débusqué par les manifestants |
C’est la grève la plus massive depuis la mobilisation révolutionnaire d’avril 1974 qui a conduit à l’effondrement de la dictature salazariste. La grève était totale chez les dockers, dans le métro, chez les éboueurs, les sapeurs-pompiers, avec des piquets de grève comme au tri postal de Lisbonne. Les travailleurs du secteur privé, des petites entreprises se sont joints à la grève. De nombreux magasins, étaient fermés. Les étudiants ont bloqué les universités et organisé leur propre cortège puis ils se sont joints aux cortèges des dockers, de la CGTP et des mouvements sociaux (chômeurs, retraités…). La police a infiltré certains de ses membres dans la manifestation pour qu’ils provoquent des affrontements afin de justifier bastonnades et charges de polices ; et les manifestants ont fait la chasse aux provocateurs. C’est 5 millions de manifestants (sur 40 millions d’habitants) qui ont défilé, en fin de journée, à travers toute l’Espagne (un million à Madrid, un million à Barcelone…). La grève a été massive : les annonces de la presse aux ordres indiquant que les baisses de consommation étaient moins importantes que le 29 mars ne peuvent masquer la paralysie de l’économie. La grève était totale dans des industries comme Telefonica, SAT, Toyota. En dépit du service minimum (qui fonctionne avec des règles variables selon les généralités et les secteurs d’activités), la grève massive des transports et des marchés-gares a paralysé les centres-villes. Alors qu’en Espagne, les appels à la grève, à la manifestation, sont différents selon les 17 Communautés Autonomes, alors qu’au Pays Basque les syndicats nationalistes (ELA et LAB) ont refusé d’appeler à la grève (parce que le mot d’ordre venait de Madrid), le 14 N, ce sont toutes les communautés qui se sont mobilisées. Ainsi, au Pays Basque, dans certaines usines, comme à Volkswagen à Pampelune, les ouvriers sont quand même entrés en grève, passant outre les consignes syndicales. |
Chaque jour, en Espagne, 500 familles sont expulsées de leur logement. Le 9 novembre, à Barakaldo (Pays basque), une femme s’est jetée par la fenêtre à l’arrivée des huissiers, déclenchant à Madrid et à Barakaldo des manifestations aux cris de « banquiers assassins ». Quinze jours plus tôt, deux hommes se sont « suicidés » pour les mêmes raisons. Un suicide ? Non, un assassinat.
La politique fiscale de l’État a encouragé l’achat de logements (83% de la population est propriétaire de son logement). La spéculation immobilière encouragée par des taux très bas mais variables a conduit à la création d’une bulle immobilière qui s’est développée de 1999 à 2008. La bulle spéculative a éclaté en 2008, dans le sillage de la crise des subprimes aux États-Unis.
Entre 2007 et 2011, près de 500 000 familles espagnoles ont été expulsées de chez elles. Pourtant, on estime à 3 millions le nombre de logements inhabités sur l’ensemble du territoire, dont 1,6 million de logements neufs. Non seulement celui qui ne peut payer le prêt est expulsé, mais il doit continuer à rembourser le prêt. Nombre de jeunes contraints à des contrats précaires ont acheté une maison avec la caution de leurs parents. Résultat, l’expropriation touche aussi les parents : les banques s’approprient les deux maisons et réclament, de plus, les remboursements.
Cette situation se déploie à grande échelle. À tel point que les associations de juges ont déclaré que les juges ne pourraient plus signer des expulsions. Après le 14 N, le gouvernement a décrété un « moratoire ». Le texte publié suite à une réunion avec les représentants des banques reprend les « propositions » de ces dernières : le « moratoire » concerne uniquement les familles monoparentales avec deux enfants et un revenu de moins de 1900€. Même les juges considèrent que ce texte ne change rien. L’arbitrage se fait au cas par cas et selon les mobilisations ou non des collectifs de soutien.
Dans l’État espagnol, le taux de chômage officiel est de 25% (six millions de personnes) : près de 50% des jeunes de moins de 25 ans. Les licenciements se poursuivent : suppression de 4500 emplois dans la compagnie aérienne espagnole Iberia (IAG), d’un tiers du personnel à El Pais, le premier quotidien espagnol. Ces licenciements sont grandement facilités par la récente « réforme du travail », la loi contre les conventions collectives et celle sur les retraites (toutes votées après « concertations » avec les directions syndicales) [1]. Aujourd’hui, le patronat peut licencier à peu de frais et réembaucher, le cas échéant, à salaire inférieur. La destruction massive d’emplois depuis 2008 et la réforme flexibilisant le marché du travail (début 2012) ont fait baisser les coûts unitaires du travail : le salaire d’embauche est de 72,5% du salaire d’un agent qualifié et « la main-d’œuvre espagnole est actuellement 30 % moins chère que la moyenne de la zone euro ». Dans le privé, plus d’un tiers des salariés sont « mileuristas » (salaire de 1000 euros par mois) ; 1,7 million de ménages ont tous leurs membres sans emploi. (Les Échos 30/11/2012). |
Le budget 2013 que le gouvernement de Cohelo a fait voter à l’Assemblée le 30 octobre comporte une augmentation de 30,7% de l’impôt sur les personnes physiques (plus 2,8 milliards d’euros par rapport à 2012) : pour un salarié gagnant 1000 euros par mois avec une personne à charge, c’est une augmentation d’impôt de 178% ! Dans la Fonction publique, c’est 50% des employés avec contrat temporaire (50 000 salariés) qui vont être licenciés, la prime de vacances est supprimée… À cela s’ajoutent une diminution de 6% des allocations chômage et de 5% des indemnités maladie, des coupes dans les secteurs de la santé, de l’éducation de la sécurité sociale, de la solidarité et la privatisation de la compagnie de transport aérien (TAP - Transporte Aéreo Português), de la compagnie de gestion des aéroports (ANA- Associação Nacional de Aeroportos) et de la poste (CTT- Correios, Telégrafos e Telefones).
En deux ans, les dépenses pour l’Enseignement sont passées de 6% du PIB à 3,8%. Les regroupements d’écoles (de 4 à 5 000 élèves) ont permis la mutualisation des moyens (le personnel peut travailler sur différents lieux à plusieurs dizaines de kilomètres les uns des autres). Avec la réforme du Code du Travail et la réduction du coût des heures supplémentaires, les salaires ont été réduits de 200 à 300 euros par mois. Dans la Fonction publique, les traitements au-delà de 1500 euros par mois ont été diminués ; quatre jours fériés ont été supprimés. L’âge de la retraite est passé de 65 à 67 ans. La TVA a augmenté : elle est de 23%. En deux ans, le niveau de vie a été réduit de manière massive.
Le pays compte 1,3 millions de chômeurs pour à peine plus de 10 millions d’habitants.
La grève générale massive en Espagne et au Portugal, le 14 N, répond à une puissant aspiration à l’unité de la classe ouvrière et de jeunesse contre les gouvernements au service du capital. Cette mobilisation s’appuie sur tous les combats antérieurs dans ces deux pays.
L’offensive contre les acquis historiques des prolétariats et de la jeunesse se poursuit sans relâche dans toute l’Europe. Cette offensive est menée par les bourgeoisies et les gouvernements nationaux de l’Union Européenne. Rappelons que l’Union européenne n’est pas un État mais une alliance entre États nationaux répondant aux besoins du capitalisme qui cherche à surmonter les barrières nationales. L’Union Européenne est un dispositif de coopération conflictuelle entre les bourgeoisies nationales et d’attaque généralisée contre les prolétariats d’Europe. Mais l’Union Européenne ne fait disparaître ni les États nationaux, ni les rivalités entre les États bourgeois. Cette offensive déclenche des mobilisations dans tous les pays d’Europe contre ces attaques. Mais les combats des travailleurs et de la jeunesse, s’ils se heurtent aux mêmes politiques, s’inscrivent dans un contexte particulier à chaque pays. Ainsi, au Royaume Uni, le Parti travailliste est le parti « historique » du mouvement ouvrier anglais. Et le Trade Union Congress (TUC), qui fut à l’initiative de la création de ce parti, réunit l’ensemble des syndicats britanniques. En Italie, les partis ouvriers traditionnels, le PCI et le PSI ont disparu (voir page 25). En Allemagne, la Loi fondamentale encadre et limite très strictement le droit de grève. La cogestion allemande (Mitbestimmung) est constitutionnelle, ce qui rend le « dialogue social » obligatoire et limite considérablement les possibilités de mobilisations spontanées. Il est donc nécessaire de prendre en compte les intérêts communs aux différents prolétariats d’Europe et en même temps le cadre national dans lequel chacun d’eux inscrit son combat. « Si la lutte des classes est internationale dans son contenu, elle reste nationale dans sa forme », explique Marx pour qui la tache de chaque prolétariat et avant tout d’en finir avec sa propre bourgeoisie. Chaque prolétariat doit affronter la question de la conquête du pouvoir politique dans son propre pays en même temps que « les prolétaires n’ont pas de patrie ». Dans le cadre d’un combat internationaliste, des grèves à l’échelle européenne sont nécessaires et possibles, mais sous le contrôle des travailleurs et sur leurs mots d’ordre. Or, ce n’était pas le cas de la grève appelée le 14 novembre par la CES, qui revendiquait un « pacte social européen ». De ce fait, il n’y a as eu de grève européenne. Les conditions nationales sont restées déterminantes, en particulier en Espagne et au Portugal.
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- Communiqué de juin 2011 : Loi contre les conventions collectives,
- Bulletin octobre 2010 : Objectif : licenciements en Espagne !