Enseignement, Université, Recherche
École, université et décentralisation
Après trois mois de “concertation”, le ministre Peilloni va présenter, le 11 octobre, les axes du projet de loi d’orientation sur l’école. Mais, ni Peillon, ni Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche ne veulent abroger l’essentiel des mesures contre lesquelles les personnels et la jeunesse se sont mobilisés les années précédentes. Les deux lois qui vont réorganiser l’enseignement de la maternelle à l’université sont étroitement articulées à la nouvelle loi de décentralisation. Sur quels objectifs ? Et au service de qui ?
Les concertations Peillon pour la “refondation de l’école”, de même que celles de Fioraso avec les “assises de l’université” s’inscrivent dans le droit fil de la Grande conférence sociale. Rare sont ceux qui ont soulignés que dans le même temps, se préparait une nouvelle loi de décentralisation, donnant aux régions une place essentielle dans l’enseignement. Pourtant tout cela était à l’ordre du jour dans les mille et une instances de « concertations » dans lesquelles siègent les organisations syndicales. De même, ceux qui participent depuis trois mois aux dites « concertations », ont fait semblant d’ignorer les positions de l’Association des présidents de région (ARF, véritable lobby auprès du gouvernement) et les travaux du Sénat, où le PS et le PCF ont une majorité relative.
2003 : manifestation contre la 2e loi de décentralisation (photothèque des mouvements sociaux)
La « refondation » de l’école de Peillon et le réaménagement de la LRU de Fioraso s’inscrivent dans l’acte III de la décentralisation et répondent aux exigences du patronat (cf L’insurgé n°10).
Le 25 septembre 2012, dans Les Échos, Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique annonce une loi commune sur la « décentralisation et la réforme de l’État ». « Nous voulons un seul texte de loi. Il est écrit, il est prêt », dit-elle. Il y aura des transferts de compétences de l’État vers les territoires, lesquels s’accompagneront de transferts d’effectifs. Ces transferts de missions vont créer ce que l’administration appelle des « doublons » et permettront ainsi d’économiser des dizaines de milliers de postes.
Les deux précédentes lois de décentralisation combinées à la politique de réforme de l’État (de réduction de personnel) ont conduit à la privatisation de services. Aujourd’hui, nombre de départements, de régions privatisent les services de cantine, voire de nettoiement des lycées et collèges. Pour M. Lebranchu, il est « difficile de revenir sur des contrats passés ». Or, il faut rappeler qu’en 2003, une importante mobilisation s’est dressée contre la loi qui a transféré les personnels TOS (techniciens et ouvriers de service) de l’État aux départements et régions.
À l’initiative du Sénat, une vaste concertation se mène depuis décembre 2011 : questionnaires adressés aux élus locaux, débats avec les élus dans les départements auxquels les syndicats sont invités. Les 4 et 5 octobre se tiennent au Sénat les États généraux de la « démocratie territoriale ». Le projet de loi ne sera dévoilé qu’après. Mais, dit M. Lebranchu, « il est écrit ».
Le texte intitulé « 15 engagements pour la croissance et pour l’emploi », signé le 12 septembre par le Premier ministre et l’association des présidents de région (ARF) anticipe de la loi à venir. Le but est d’assurer « le redressement économique et industriel de la France » (soit la défense du capitalisme français). Et le texte trace deux axes d’interventions pour les régions.
 Les régions contrôleront en partie la future banque décentralisée (Banque publique d’investissements, BPI) mise au service des entreprises (PME-PMI et… grandes entreprises). Cela permettra d’augmenter le crédit d’impôt recherche accordé aux entreprises (une importante niche fiscale selon les syndicats), de garantir le financement de « pôles de compétitivité » par l’État et les régions (prêts garantis). Les régions gèreront les fonds européens et auront plus d’autonomie financière : à quand les nouveaux impôts ? Autant d’argent public qui permettra ainsi aux entreprises de dégager plus de profits sur la base de l’exploitation du travail salarié.
 Le rôle des régions est de mettre à disposition des entreprises une main d’œuvre bon marché et « employable ». Ainsi commencent à s’appliquer les décisions prises lors de la Grande conférence sociale : les emplois d’avenir dans les « filières et secteurs porteurs », de même que les contrats de génération, tout cela organise la « baisse du coût du travail » réclamée par le MEDEF.
Les régions vont collaborer à « sécurisation les parcours professionnels » : utiliser le chômage partiel et les diminutions de salaires qui l’accompagnent, les reconversions contraintes de salariés (lesquelles préparent les licenciements). Ainsi la flexisécurité de Sarkozy est rebaptisée « sécurisation de l’emploi » et des négociations entre syndicats et patronat préparent la loi Sapin.
Et, sur le site « Acteurs publics », Alain Rousset, président de l’ARF indique : « la région deviendra le pilote de toute la chaine orientation/formation-emploi ». Or, les régions n’ont aujourd’hui ni la compétence pour la formation initiale, ni pour « moderniser » le Service public d’orientation (SPO). Cette nouvelle « évolution » sera consacrée par la loi. D’ores et déjà, le SPO, mis en place par la loi d’orientation et de formation tout au long de la vie de 2009, met gravement en cause les services publics encore existants, l’Éducation Nationale, Pôle Emploi et aussi les Missions Locales au profit d’intérêts privés. Des régions labellisent déjà des organismes privés pour assurer l’orientation des élèves à la place du personnel (COpsy) de l’Éducation nationale. Les régions vont donc organiser « l’orientation active », développer l’alternance, l’apprentissage, la mobilité (géographique, professionnelle) des jeunes selon les besoins du patronat local.
L’Acte III de la décentralisation permettra d’importantes économies : mutualisation de moyens, suppressions de postes doublons. Le député Dosière veut supprimer le « mille feuille administratif » (regroupement de communes, intercommunalité) pour économiser 15 milliards d’euros !
L’enseignement serait, parai-il, « prioritaire » et épargné par la rigueur. Qu’en est-il ?
Peillon annonce le recrutement de 43 500 professeurs en 2013. Mais seuls 8281 postes sont inscrits au budget. Peillon comptabilise d’une part le remplacement de 22 100 départs à la retraite (donc pas de création de poste) et d’autre part les 21 350 places ouvertes à un 2ème concours. Mais les lauréats à l’écrit de ce concours ne seront pas fonctionnaires stagiaires. Ces étudiant en master2 effectueront, pendant un an, le tiers d’un service d’enseignant titulaire, puis passeront l’oral du concours. Les 8281 postes budgétés serviront donc à payer un morceau de salaire… à des étudiants en stage. Non seulement Peillon ne rétablit pas la formation initiale des enseignants payée par l’État après la réussite au concours (sous statut de fonctionnaire stagiaire), mais il pérennise le remplacement de professeurs titulaires par des étudiants. C’est ce qu’il appelle « formation » !
Le nombre de postes annoncés n’a donc rien à voir avec la réalité. À cela s’ajoute une importante mise en cause du recrutement sur concours et du statut articulée avec la création des emplois d’avenir professeur. Ainsi apparaît le sens des propos de Peillon : le budget 2013 est « une première traduction financière de la refondation de l’école ».
Le gouvernement a fait des rythmes scolaires une priorité. Derrière l’objectif affiché (la réussite des élèves), la réalité est bien différente. Dans sa Lettre de mission du 5 juillet lançant la concertation, il écrit que le « nouvel équilibre » entre le « temps scolaire, périscolaire et familial » doit s’accompagner d’une « répartition des charges entre les différentes parties prenantes ». Il apparaît clairement que la décentralisation va permettre à chaque « territoire » d’organiser localement les rythmes scolaires, selon les moyens locaux. Le zonage des vacances d’été participe de ce processus. Par le biais de conventions entre l’État et les collectivités, une partie du temps scolaire pourrait être pris en charge par les collectivités territoriales. C’est une accentuation des inégalités territoriales et sociales pour la jeunesse et les familles (soumises à une augmentation des impôts locaux). Et un éclatement des statuts pour les personnels.
Sous couvert de mieux coordonner le lycée et le 1er cycle universitaire, il faut, disent Peillon et Fioraso, une « imbrication entre l’école, l’université et le lycée », faire venir des organismes professionnels dans les établissements. En effet, cette liaison entre le lycée et le 1er cycle universitaire appelée le « -3 plus +3 » doit gérer les flux en fonction des besoins des entreprises. Un certain nombre de jeunes doivent s’orienter vers des licences polyvalentes et des licences professionnelles dont les contenus et la valeur sont définis localement. À côté, se développeront des filières d’excellence. Et, dès le lycée, voire même avant, la « sélection par l’orientation » doit alimenter les pôles d’excellence et les formations professionnalisantes courtes. Appuyé sur les parcours individuels des élèves, le lycée doit donc être réorganisé de concert avec le supérieur.
À l’université et dans la recherche, les pôles d’excellence doivent se mettre au service de l’innovation recherchée par les entreprises. Pour Fioraso, il n’est pas question de revenir sur l’autonomie imposée par la LRU. Cette autonomie des universités sera encore accentuée avec la nouvelle décentralisation.
Quant au transfert de toute la formation initiale aux régions, cela conduit inéluctablement à soumettre les lycées professionnels et technologiques aux pouvoirs locaux, à disloquer le cadre national des horaires de programmes, des diplômes et du statut des personnels. L’apprentissage et l’alternance doivent se développer.
Tout cela s’inscrit dans le cadre de l’orientation et à la formation tout au long de la vie (LOPTLV, loi de 2009), de l’acquisition progressive de compétences et du processus de Bologne.
Depuis le 5 juillet des concertations tout azimut se mènent entre les directions syndicales et le gouvernement. Le patronat et l’enseignement privé y ont pris une part active. Quant au Front de gauche, comme le PS, il est présent dans les forums régionaux de la « démocratie territoriale », aux assises du supérieur… C’est cette collaboration étroite qui permet au gouvernement d’avancer.
Les axes du projet de loi d’orientation pour l’école sont présentés le 9 octobre par Hollande à la Sorbonne, puis le 11 octobre par Peillon au CSE. Et sur cette base, sont ouvertes de nouvelles discussions avec les organisations syndicales. Le projet de loi devrait être voté avant Noël.
Cette association des syndicats (et des partis du mouvement ouvrier) à l’élaboration des « réformes » exigées par le patronat paralyse tout combat en défense des revendications. Certains approuvent, d’autres, comme Sud-Educ, le SNLC-FO critiquent. Mais tous les syndicats annoncent qu’ils participent aux négociations et siègeront dans les instances de « concertation ».
Les exigences sont pourtant claires. Elles ont été affirmées lors des mobilisations de ces dernières années : Abrogation de toutes les mesures contre l’enseignement public (en premier lieu, la loi Fillon de 2005, la loi sur l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie de 2009, la LRU et le LMD…). Contre les compétences, défense et rétablissement de la valeur nationale des diplômes, du cadre national de l’université et de l’Enseignement publics. Défense des statuts nationaux des personnels, et de tous les acquis.
L’unité peut se réaliser pour exiger et imposer à la majorité (PS-PCF-FG) élue pour chasser Sarkozy et ses « réformes réactionnaires » la satisfaction de ces revendications. Cela implique de rompre immédiatement les « concertations » avec le gouvernement. Une telle perspective ouvre une voie pour la mobilisation.