À la suite des élections législatives qui s’étaient tenues le 6 mai, aucun gouvernement de coalition n’avait pu être formé. Après dix jours de crise, de nouvelles élections avaient donc dû être convoquées, qui se sont déroulées le 17 juin.
Et le 21 juin, Antonis Samara, dirigeant de la Nouvelle Démocratie, prenait la tête d’un gouvernement de coalition, avec la participation du Parti social-démocrate, le PASOK, et le soutien du parti de la Gauche démocratique. Au-delà des faits bruts, il reste à analyser comment les élections du 17 juin ont permis de réaliser ce qui n’avait pu être fait le 6 mai, et à mesurer comment peut se développer la crise sociale et politique qui se poursuit en Grèce.
« Résistance »
Une crise aiguë du capitalisme en Grèce
La crise économique et financière de la Grèce n’est pas une spécificité grecque : elle est le produit de la crise générale du capitalisme qui s’est ouverte aux États-Unis en 2007, et qui touche durement un pays comme la Grèce du fait de sa subordination économique et politique aux grandes puissances, à l’impérialisme français notamment. En 2009, pris entre une crise financière insoluble et les mobilisations de la jeunesse et des travailleurs, le gouvernement de la Nouvelle Démocratie convoquait des élections anticipées, qui se traduisaient par la victoire du PASOK.
Face à la découverte de comptes publics truqués et à l’aggravation de la crise financière, le gouvernement de Papandréou dut se résoudre à appliquer les plans dictés par le FMI, la Banque centrale européenne et les dirigeants de cette Union européenne, (la Troïka) formalisé en mai 2010 par un premier mémorandum.
Ce fut une impitoyable politique de rigueur menée contre toute la population, à l’exception de la bourgeoisie dont la fortune est, pour une grande part, à l’abri dans des banques étrangères.
De puissantes mobilisations
Cela s’est traduit par des baisses massives des salaires et des pensions de retraites, un chômage sans précédent, la liquidation de la santé publique et de l’enseignement. Face à cette politique, les travailleurs grecs, se mobilisèrent massivement, les journées de grève générale se multiplièrent, tandis que la crise s’approfondissait.
Le chef du PASOK, Georges Papandréou, démissionnait à la fin de l’année 2011 au profit de Papadémos, un banquier issu de la BCE. Et, alors qu’il y avait toujours à l’Assemblée une majorité du PASOK, ce fut un gouvernement composé du PASOK, de ND et du LAOS (extrême droite) qui gouverna jusqu’en mai 2012, et qui entérina en février un second et impitoyable mémorandum en échange de la restructuration d’une partie de la dette grecque.
Élections législatives du 6 mai : un tremblement de terre électoral
Fort logiquement, pour les trois partis qui avaient avalisé la politique de la Troïka, ces élections furent un désastre.
Le PASOK perdait les deux tiers de ses voix. Obtenant 13,2%, il retombait à son niveau de 1974 (année de sa création). Le principal parti bourgeois, la Nouvelle Démocratie (ND), tombait à 18,88%, soit la moitié des voix qui lui restaient de sa défaite de 2009. Quant au Laos, il perdait tous ses députés, étant passé en dessous du seuil de 3% des voix nécessaire pour avoir des élus.
Les voix issues de ND et du Laos s’éparpillaient vers une série de partis bourgeois, dont les Grecs Indépendants (10,6% des voix), une scission de la ND survenue en février 2012.
Une autre partie de ces voix se porta vers un véritable parti nazi, Aube dorée (6,97%), jusqu’alors tout à fait marginal. Ce parti gagnait 21 députés en menant campagne contre le double mémorandum et en développant une politique xénophobe, accompagnée d’agressions physiques contre les immigrés et des militants politiques. L’apparition d’un tel parti, qui a des liens avec une partie de la police et de l’armée, implique des mesures d’auto-défenses unitaires de la part des organisations ouvrières.
Du côté du mouvement ouvrier, l’effondrement du PASOK ne profitait pas au KKE, vieux parti stalinien qui consacrait l’essentiel de son énergie à polémiquer contre le PASOK et SYRIZA. Ce parti, avec 8,5% des voix, ne progressait qu’à peine d’un point. De même, Antarsya, où l’on retrouve quelques amis du NPA, demeurait marginal avec 1,2%.
L’événement majeur fut la percée de SYRIZA, « Coalition de la gauche radicale » organisée à partir de Synaspismos (courant issu du Parti communiste grec) et de diverses organisations, parfois révolutionnaires, comme DEA (Gauche Ouvrière Internationaliste). Devenant brusquement la deuxième force politique du pays, il passait de 4,6% à presque 17%, des voix (52 députés), captant une masse d’électeurs sensibles à des éléments clés de son programme dont le refus du double mémorandum et de la rigueur.
Un autre parti, réformiste très modéré, (DIMAR, ou Gauche démocratique, ancienne scission de SYRIZA) obtenait de son côté 6,1% des voix.
Ce fut l’impasse. Nouvelle Démocratie, avec le bonus de 50 sièges attribué au parti arrivé en tête, n’avait que 108 sièges sur 300. Avec l’appui du PASOK, on arrivait à 149. Il fallait trouver un renfort. Les partis hostiles aux deux mémorandums s’y opposaient. Gauche Démocratique seule hésitait mais, sous la pression de SYRIZA qui demeurait intransigeante sur la question des plans de rigueur, elle refusa d’entrer dans cette coalition. Aucune autre coalition ne put être organisée, ni par SYRIZA, ni par le PASOK. La crise était totale. On convoqua donc de nouvelles élections pour le 17 juin.
Élections du 17 juin : confirmation et amplification
Cette crise menaçait l’ensemble de la zone euro. Les dirigeants des puissances européennes multiplièrent donc les pressions et manœuvres, l’objectif étant que l’électorat bourgeois, qui était dispersé sur de nombreuses listes, se regroupe pour l’essentiel derrière Samara et la Nouvelle Démocratie. Cette nécessité était d’autant plus forte que les sondages prévoyaient une nouvelle progression de SYRIZA, au point qu’il risquait de devenir le premier parti et de rafler ainsi le bonus de 50 sièges : pour la bourgeoisie, ce ne pouvait être que le chaos politique et économique en perspective si l’hypothèse se concrétisait.
Pour freiner ce renforcement de SYRIZA, dont le combat contre l’austérité et les mémorandums rencontrait un écho grandissant, ND se mit à expliquer qu’elle demanderait à renégocier le double mémorandum. De manière tout aussi opportuniste, le PASOK fit de même, ce qui faciliterait ensuite un rapprochement avec la ND.
Les résultats du 17 juin
Ce jour là, l’abstention atteint un nouveau record, supérieur à 37,5% des inscrits.
Le nombre de listes fut plus réduit : 22 listes, contre 31 le 6 mai, certaines ayant renoncé, d’autres se regroupant pour avoir la taille suffisante. C’est en en particulier le cas de la DISY, scission de la ND, qui est retournée à la maison mère, lui apportant ses 2,5% du 6 mai.
Ce processus a été accentué par le « vote utile » de l’électorat bourgeois, se reportant sur Nouvelle Démocratie au détriment de petits partis : le Laos (extrême droite) passe ainsi de 2,9% à 1,6%, la liste ANEL- PARMAD tombe de 10,6% à 7,5% et 4 autres listes passent de 8,5% à 3%. Au total, 10 % des électeurs du 6 mai glissent vers Nouvelle Démocratie.
C’est ce mouvement qui permet à Nouvelle Démocratie de gagner 11 points. Avec 29, 66% des voix, il atteint 79 sièges et, avec le bonus de 50 sièges, peut donc compter sur 129 des 300 sièges de l’Assemblée. De son côté, les nazis d’Aube Dorée restent au même niveau (proche de 7%).
Du côté des organisations ouvrières, comme annoncé, SYRIZA réalise un nouveau bond. Sans arriver pour autant en tête, SYRIZA atteint cette fois-ci 26, 89% (et 71 sièges), gagnant 10 nouveaux points. Ces voix nouvelles proviennent, pour une petite part, d’un allié nouveau, KOISY, qui lui apporte 1%. C’est peu, mais le ralliement de ce groupe, une scission du PASOK opposée à l’austérité, révèle que SYRIZA est désormais une force d’attraction. Mais, pour l’essentiel, SYRIZA progresse aux détriments du PASOK et surtout du KKE : le PASOK recule encore, mais d’un seul point (à 12,3% des voix). Par contre, le KKE paye durement sa politique de division, passant de 8,5% à moins de 4,5%.
SYRIZA prend aussi des voix aux groupes dits « d’extrême gauche », qui perdent l’essentiel de leurs voix. Quant à DIMAR, elle se maintient avec 6,25% des voix et 17 députés.
Un gouvernement bourgeois de coalition
À partir de ces résultats, Antonis Samaras est chargé de constituer un gouvernement de coalition. C’est ce qu’exigent les banquiers et l’Union européenne Les choses se font alors avec rapidité. N’ayant pas la majorité, il s’adresse au PASOK et à Gauche Démocratique, lesquels lui demandent qu’il renonce à réduire davantage salaires et retraites. Puis le PASOK entre au gouvernement, tandis que DIMAR apportera son soutien, sans entrer au gouvernement. La majorité nécessaire est acquise.
Pour quelle politique ? La ND comme le PASOK s’engagent à payer la dette, et ne rejettent pas le double mémorandum. Mais ils disent refuser davantage de rigueur, et veulent « renégocier » les plans de l’UE et du FMI. Certes, ceux-ci accepteront de renégocier, puisque de toute façon le pays s’enfonce dans la crise, et que les impôts ne rentrent pas. Mais ce sera, au mieux, pour repousser de deux ans le retour à l’équilibre budgétaire. Et la crise ne sera pas résolue, le chômage et la misère continueront de progresser. Les élections n’ont rien réglé.
Ce sont donc de nouveaux combats sociaux et politiques, de grande ampleur, qui s’annoncent.
Vers de nouveaux bouleversements politiques
Du fait de cette crise qui n’a guère de solution dans le cadre du capitalisme, et des combats inévitables qui auront lieu, la situation des partis politiques ne peut pas rester en l’état, comme figée. D’importants développements sont à prévoir.
L’avenir de ce gouvernement est compromis parce qu’il ne peut rien régler. On ne peut donc désormais exclure, sous l’aiguillon d’Aube dorée, le recours à un État fort. Tout dépendra de la capacité des travailleurs à s’ouvrir une alternative politique : un gouvernement des travailleurs et de l’ensemble de leurs organisations qui rejettent les mémorandums et le paiement de la dette.
Au sein du PASOK, la crise va se poursuivre : la politique qu’il va mener au pouvoir entraînera de nouveaux départs, et des affrontements internes peuvent le conduire à abandonner le gouvernement.
À l’intérieur de Dimar, des oppositions se sont exprimées contre le soutien au gouvernement. En ce qui concerne le KKE, parti fossilisé depuis des décennies, la crise est inévitable.
Et pour les militants de ces partis, la question de rejoindre SYRIZA d’une manière ou d’une autre va nécessairement se poser. Il en est de même pour Antarsya.
SYRIZA, porté par ses succès électoraux, constitue un réel pôle d’attraction, et peut devenir un acteur important dans les luttes de classe, tout en demeurant le pivot d’une alternative gouvernementale. Mais il n’est pas non plus à l’abri de grandes difficultés, compte tenu du caractère hétéroclite de ses composantes, et des contradictions de son programme. Comment, par exemple, mettre à bas le double mémorandum et la politique de rigueur sans que soit annulée toute la dette, expropriées sans indemnité l’ensemble des banques, et sans remettre en cause les traités européens qui organisent l’Union européenne des capitalistes ?
Inévitablement, il connaîtra des débats difficiles sur de telles questions.
Dans cette situation, les travailleurs grecs ont et auront besoin que s’expriment et s’organisent la solidarité et l’aide de tous les prolétariats européens.