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Économie de la connaissance : qu’es aquò ?
Face aux mobilisations des enseignants, des chercheurs, des étudiants… contre les multiples « réformes », les gouvernements opposent la nécessité de la compétitivité pour faire face à la concurrence sur le marché mondial. L’expression « économie de la connaissance » est souvent employée. Quelles réalités se cachent derrière cette formulation ?
La course à l’innovation, c’est à dire à l’application de découvertes scientifiques aux processus de fabrication et de commercialisation, s’accélère. Cela conduit à soumettre la recherche aux besoins immédiats des entreprises et même à privatiser des connaissances (modification de la législation sur les brevets aux États-Unis ; création de laboratoires privés, modification des droits de propriété intellectuelle - accords ADPIC dans le cadre de l’OMC…). En France, les lois de 1999 et 2006 permettent aux chercheurs de fonder une entreprise privée et de développer des partenariats entre les universités, laboratoires publics et les entreprises privées ; en autorisant le « droit de propriété intellectuelle », la LRU autorise les universités à breveter les recherches à application économique.
Mais dans le système capitaliste, le moteur de la production, c’est le profit (c’est à dire l’appropriation privée par le capitaliste d’une part de la valeur crée par le travail humain dans le cycle de production (la plus value). L’autre part étant le salaire versé au travailleur salarié.
Augmenter le taux d’exploitation de la main d’œuvre, c’est à dire la part relative de la plus value produite par rapport au salaire tel est la recherche constante du capital. Seul le travail humain (ce que Marx appelle le « capital variable ») est source de richesse et de profit. C’est la quantité de travail incorporé dans la production d’une marchandise qui détermine la valeur de cette marchandise.
Le patron ne paie pas le travail, mais la valeur de la force de travail. La « force de travail » se mesure en quantité de travail socialement nécessaire à sa production (travail nécessaire pour produire les marchandises indispensables à la subsistance et à la reproduction du salarié ainsi qu’à sa formation comme travailleur qualifié).
Comme les autres marchandises, la valeur de la force de travail varie selon la qualification (manœuvre, ingénieur, chercheur…) et selon le niveau de civilisation, de culture générale et d’organisation du prolétariat. La valeur de la force de travail d’un ouvrier en 1920 et en 1937, diffère de celle de l’ouvrier en 1970. La lutte des classes (avec la hausse de la productivité) lui a permis d’arracher des acquis (vacances, enseignement gratuit, sécurité sociale…). Ce sont ces acquis qui expliquent la différence entre le « coût du travail » (en réalité la valeur de la force du travail) en Allemagne, en France et en Chine.
Pour les salariés, l’allongement des études augmente la valeur de la force de travail corrélativement au coût de la formation : même quand les études sont gratuites, les jeunes sont à la charge des familles, et perdent des années de salaire que ne compensent pas les petits boulots des étudiants. La classe ouvrière a défendu la gratuité des études et l’allongement de la scolarisation, ainsi que le paiement par le patronat de la formation professionnelle (taxe d’apprentissage pour la formation professionnelle initiale ; droits collectifs à la formation continue : accords de 1971 en particulier).
Aujourd’hui, le capital cherche à réduire les salaires, mais aussi le financement de la formation professionnelle dont le patron a besoin : il veut des salariés capables de s’adapter aux nouvelles techniques et méthodes de travail. Cette offensive prend plusieurs aspects qui sont combinés :
- offensive pour casser les contrats et statuts collectifs qui garantissent un niveau de qualification en limitant la concurrence entre les salariés : cette mise en concurrence des salariés est un puissant moyen pour faire baisser les salaires. Les conventions et statuts unifient les salariés comme classe sociale face au patron : l’individualisation soumet étroitement chaque salarié au « projet de l’entreprise », c’est à dire à une exploitation accrue du travail salarié.
- évaluation permanente des compétences individuelles (fiches de postes, cercles de qualité, entretiens individuels…), et « contrats d’objectifs » (évaluation des résultats et aussi projet de formation continue, de mobilité, de reconversion…). Il s’agit de généraliser la casse du métier et des qualifications reconnues au profit d’une suite de « missions » plus ou moins continues et variables que le salarié effectuerait « tout au long de sa vie ».
- prise en charge par le jeune (et sa famille), puis par le salarié lui-même, du coût de la formation et du renouvellement de la force de travail pour : le salarié responsable de son « employabilité » entretient son « portefeuille de compétences » et son évolution selon les besoins du patronat. La « professionnalisation des études » introduite par le processus de Bologne (1999) se met en place, en France avec le LMD (décrets de 2002) : elle s’intègre au processus d’orientation et de formation tout au long de la vie.
- « flexibilité » du travail, mobilité imposée (géographique, professionnelle…) qui soumet en permanence le salarié aux besoins de l’entreprise. Et la flexibilité des horaires (journalière, hebdomadaire, annuelle, voire sur toute une vie) se combine à la tendance à l’allongement de la durée du travail (sur l’année et sur la vie entière)…
Mais cette politique fait surgir d’importants combats des salariés et de la jeunesse (comme au Québec). Face à cette résistance, la bourgeoisie renforce alors son appareil d’État et les lois « sécuritaires » afin de préserver sa domination de classe.
Au début des années 2000, le Conseil européen de Lisbonne a fixé l’objectif de « développer l’économie la connaissance et de l’innovation ». À l’échelle de l’OCDE, c’est dès 1996 que ces recommandations sont formulées sous l’expression « l’économie fondée sur le savoir ».
Ces éléments et leurs diverses combinaisons permettent de comprendre ce que l’on nomme « l’économie de la connaissance » et le « management des relations humaines ». Cette « stratégie de Lisbonne » guide les réformes de tout le système d’enseignement (de la maternelle à l’université). Ces processus touchent l’organisation, la gestion et les relations de travail dans les entreprises et tout le processus de « réforme de l’État » dans ses diverses « missions ».
L’État bourgeois réoriente ses investissements au profit des nouveaux besoins du capital, et prend en charge certaines conséquences de la crise du capitalisme (sauvetage des banques, par exemple) en en faisant porter le coût aux salariés. Tous les moyens sont donc bons pour réduire les salaires, le coût de la formation, les stages non payés, voire le travail gratuit.
Le formatage de la jeunesse en est un aspect. Il est inclus dans l’évaluation des compétences telles que le « savoir être », et s’applique dans le cadre de l’enseignement, mais aussi et en dehors de l’école. C’est ainsi que sont fortement « encouragées » différentes formes de travail gratuit : « service civique », extension du bénévolat, etc, qui sont pris en compte dans les compétences et deviennent « recommandés » quand on cherche du travail. (À cette fin, l’État finance largement des associations auxquelles il confie la tache d’organiser ce type d’activités).
Le combat pour la défense de la valeur de la force de travail doit donc être mené sur de nombreux plans, et pas seulement par la défense des salaires. Il intègre le combat pour la prise en charge totale du coût des études par l’État, et du coût de la formation professionnelle par le patronat.