À Annecy, puis à Marseille, à Lille, Sarkozy a martelé son idée de référendum pour lutter contre « l’immigration illégale ». Face à la politique de stigmatisation et de chasse aux « sans-papiers », face à la crise d’un système qui n’offre comme avenir que la précarité (orientation forcée à l’école, puis CDD, coût prohibitif des logements…) comment combattre ? C’est à cela que cherchent à répondre des jeunes qui se sont réunis avec L’insurgé.
Mickaël : Quand j’entends Sarkozy cibler sur les étrangers, je ressens cela comme un acharnement. Je ne supporte pas cette stigmatisation et j’en suis profondément affecté. C’est la même logique que celle du « débat » sur l’identité nationale. Nomade, comment ressens-tu cette politique que mène Sarkozy ? Comment la vis-tu ?
Nomade : Je ne me suis jamais posé la question. Je suis en France depuis neuf ans. Cette situation fait partie de ma vie. Je me suis construite dans cette situation et je ne me pose pas la question.
Mickaël : Il y a en fait un décalage entre toi et moi. Moi je ne vis pas cette situation, mais je ne supporte pas cette politique contre les étrangers. C’est comme cette notion « d’identité nationale » : c’est pour moi une question théorique. Pourquoi cette stigmatisation des étrangers ?
Nomade : Les boucs-émissaires, cela ne date pas d’aujourd’hui. On en crée à différentes époques : c’est un moyen de diviser. Ça c’est le constat. Mais le simple constat ne permet pas d’avancer. Le fait de dormir dehors, on le vit. Pas la peine de pleurer là-dessus. Il faut trouver des solutions.
Alixe : Il va y avoir des élections. Qu’elles sont les « solutions » proposées par les uns et les autres ? Quelles sont les revendications ?
Nomade : Un très grand nombre de personnes se rassemblent avec RESF pour la défense des droits des étrangers. Tous sont pour une régularisation. Mais avec des différences. Certains veulent la régularisation des jeunes scolarisés. D’autres sont pour la défense des enfants : RESF vient de lancer une pétition contre l’enfermement des mineurs étrangers dans les Centre de rétention administrative (CRA) et les zones d’attente aux frontières.
RESF est né dans le cadre de l’enseignement. Actuellement il existe plusieurs types de titre de séjour (titre salarié, titre étudiant, titre « vie privée et familiale »). Et RESF demande la mise en place d’un titre de séjour unique.
Mais on ne peut pas s’en tenir au seul titre de séjour. Beaucoup de problèmes de la vie quotidienne sont difficiles à gérer. Comment un enfant peut-il travailler à l’école s’il n’a pas de logement ? Peut-on faire correctement des études sans logement correct, sans moyens pour la vie quotidienne ?
Alixe : On ne peut donc pas dissocier la question du titre de séjour des conditions d’existence ?
Nomade : Oui, certains à RESF répondent : on n’est pas des assistantes sociales. Je pense qu’il est nécessaire de mener une action spécifique sur la question de la régularisation. Mais on ne peut ignorer les conditions de vie. On nous demande d’avoir des bonnes notes, une attitude irréprochable. Mais sans cadre de vie, sans points de repères, il est très difficile de faire des études. Les conditions de vie et la régularisation sont des questions liées.
Alixe : Il faut donc revenir à la création de RESF. C’est en juin 2004, après la première loi Sarkozy de 2003 modifiant le code des étrangers (CESEDA) qu’a été créé Réseau éducation sans frontières (RESF). La réunion initiale rassemblait des enseignants et personnel de l’Éducation nationale, des associations (FCPE, ATTAC, LDH, Cimade…) et des syndicats (FSU, SUD-Education, UNEF,…). L’objectif était de soutenir les enfants et les jeunes majeurs scolarisés de la maternelle à l’université et en situation irrégulière, ainsi que leurs familles.
À l’origine de RESF, il y a des syndicats qui défendent les travailleurs, des associations (comme la FCPE), des partis politiques qui ont des plates-formes, des programmes liant tous les aspects : la défense du droit à l’enseignement pour tous, du droit au travail et à des conditions d’existences dignes. Il est parfaitement possible d’avoir une action commune des syndicats (et des partis) contre les lois « d’immigration choisie ». C’est une question d’orientation.
Nomade : RESF ne s’intéresse qu’à la scolarité. Un militant RESF peut mettre un jeune « sans papier » en relation avec d’autres structures (foyer, assistante sociale). Mais beaucoup disent : le logement, les conditions d’existence, ce n’est pas notre action. Et si certains le font, c’est à l’échelle individuelle, mais pas en tant qu’action collective. RESF n’intervient pas globalement sur toutes les questions. De plus, il ne s’occupe que des « scolarisables ».
Jonathan : Oui, et je ne suis pas d’accord. Lorsqu’Ida est venue au collectif, comme elle n’était plus scolarisable, on lui a dit : va voir la Cimade pour ton dossier. Cela pose un autre problème : la politique du gouvernement, c’est le « cas par cas ». « L’immigration choisie », cela veut dire qu’il y aurait de « bons » immigrés (et donc aussi des « mauvais »). Et c’est le gouvernement, la préfecture, les patrons qui choisissent. Est-ce que l’on peut lutter contre cette politique si on s’adapte au « cas par cas » ? La question, c’est d’obtenir l’abrogation de ces lois.
Katia : Ce que veulent les jeunes, c’est la liberté de circulation, d’installation. Il y a six ans, un de mes amis marocain a été expulsé. Il avait un master en droit du travail ; il allait passer l’examen d’accès à l’école des avocats. Suite à une OQTF, il a été embarqué au CRA en pantoufles et en pyjama, puis expulsé dans les trois jours. Et la personne qui l’hébergeait a été placée en garde à vue.
Nomade : Moi, je rejette cette société. Ce que je veux, c’est que chacun ait la liberté de gérer sa vie comme il veut.
Katia : Pour les jeunes, c’est soit le chômage, soit des CDD. Moi, avec le bac et un BEP, j’en suis à trois CDD. Et des entreprises ferment. Renault va s’installer à Tanger. Combien sont payés les salariés ? Dans quelles conditions travaillent-ils ?
Jonathan : Comment changer cette société ? Quand je vois l’importance des mobilisations en Tunisie, en Égypte et le résultat aujourd’hui, c’est inquiétant. Et en France, Sarkozy, on n’en peut plus. En même temps, que faut-il penser de Hollande, de Mélenchon ? Il a « cassé » M. Le Pen, hier à la télé. Mais après les élections ?
Alixe : Le problème, en Tunisie, en Egypte c’est qu’il n’y a pas d’organisation ouvrière ni de la jeunesse qui ouvre une perspective. Lors d’une récente réunion autour de militants marocains du Mouvement du 20 février, la discussion a commencé à aborder cette question. Quelles sont les revendications (le programme) à mettre en avant et comment construire une telle organisation ?
Jonathan : Il faut une organisation révolutionnaire.
Alixe : En Égypte, il y aura obligatoirement affrontement avec les Frères musulmans qui ont aujourd’hui la majorité. Car leur programme c’est de préserver le capitalisme. C’est un processus qui sera long. Les militants révolutionnaires doivent s’inscrire dans ce processus.
Aujourd’hui, en France, il faut mettre en avant des revendications claires. Par exemple :
- Liberté de circulation et d’installation pour tous (et abrogation de toutes les lois qui la limitent).
- Droit pour tous les jeunes de faire les études de leur choix débouchant sur un diplôme reconnu, à valeur nationale ; il faut aussi revendiquer la gratuité des études pour tous.
- Droit au travail. C’est-à-dire, un CDI (ou un statut, comme dans la Fonction publique) ; un salaire qui permette de vivre ; diminution du temps de travail sans diminution de salaire et suppression de toutes les mesures de flexibilité (travail du dimanche).
Ce ne sont là que quelques exemples. Et pour ces objectifs il faut s’organiser.