Politique sécuritaire, pillage des cerveaux, et exploitation de la main d’oeuvre
Alors que la crise économique et financière mondiale touche de plein fouet l’Europe et la France, Sarkozy et Guéant développent l’escalade dans la politique sécuritaire et la stigmatisation des étrangers. La politique « d’immigration choisie » rend déjà très difficile le passage de la condition d’étudiant à celle de salarié. Le 31 mai 2011, le ministre de l’Intérieur a publié une circulaire restreignant encore plus la possibilité pour les diplômés étrangers de rester en France pour une première expérience professionnelle. Diviser la jeunesse, les salariés, est un moyen pour faciliter l’offensive contre tous les droits acquis.
Rappelant que « le nombre d’étrangers entrant en France pour motif professionnel (…) doit diminuer », cette circulaire Guéant demande aux préfets de ne plus accorder « aucune facilité particulière dans l’examen de la procédure de délivrance d’une autorisation de travail » aux étudiants étrangers. Depuis, de nombreux diplômés étrangers qui avaient été recrutés dans des entreprises françaises, n’ont pas pu obtenir un changement de statut (d’étudiant à salarié). Et un grand nombre d’entre-eux ont été reconduits à la frontière.
La mobilisation contre cette circulaire est partie des Grandes Écoles parisiennes et s’est développée dans les petites villes de province. Un collectif dit du 31 mai s’est formé autour des étudiants étrangers pour exiger le retrait de cette circulaire. En décembre, une centaine de personnalité du monde culturel, scientifique, juridique, économique lancent une pétition demandant le retrait de la circulaire Guéant.
Mis en difficulté, Guéant s’appuie sur des mois de négociations avec les représentants des grandes écoles et des universités : le 12 janvier, il publie une circulaire complémentaire à celle du 31 mai 2011. Désormais, un permis de travail pourra être délivré à certains étudiants étrangers à haut potentiel, ceux ayant « une compétence spécifique recherchée » comme « la connaissance approfondie d’un pays ou d’une culture étrangère ». Seuls les étudiants les plus qualifiés, « de niveau au moins égal au master 2 », feront l’objet d’une attention particulière.
Ce faisant, Guéant répond aux inquiétudes des chefs de laboratoire de recherche qui avaient affirmé que la circulaire du 31 mai « risquerait de nuire de façon irréversible à la stratégie d’attractivité de la recherche et des universités françaises prônée par le gouvernement », et aux chefs d’entreprises qui ont pris position dans le même sens. Quant à Laurence Parisot (du Medef), elle avait indiqué que « le message envoyé à l’international [n’était] pas valorisant pour nos entreprises ».
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Pour Louis Vogel, le président de la conférence des présidents d’Université (CPU), « L’ancienne circulaire était détestable » (…) « Mais le nouveau texte est bien meilleur, à condition qu’il soit appliqué de façon homogène sur tout le territoire ».
Même son de cloche chez les Jeunes Pop’. Benjamin Lancar, leader des jeunes UMP « se félicite que la majorité prouve ainsi à nouveau son ambition pour notre pays, son esprit d’écoute et son pari sur la jeunesse pour l’avenir de la France ».
Pour Le Monde l’esprit général de la circulaire du 12 janvier répond « aux objectifs d’attractivité de notre pays et de compétitivité de nos entreprises », aux besoins de celles qui souhaitent conquérir « de nouveaux marchés » (sic).
Le nouveau texte invite les préfets à faire en sorte que « la nécessaire maîtrise de l’immigration professionnelle ne se fasse pas au détriment de l’attractivité du système d’enseignement supérieur, ni des besoins de certaines de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau ».
Guéant répond donc aux demandes patronales qui souhaitent utiliser pour un temps limité et dans des conditions très encadrées ces jeunes fraichement diplômés originaires des pays où les patrons français veulent « conquérir de nouveaux marchés ».
Mais ce que revendiquent les étudiants étrangers, c’est le droit de d’étudier, de travailler, de circuler, de s’installer librement.
Sur les 2,3 millions d’étudiants en France, 278 000, soit 12%, sont étrangers (la France est le troisième pays d’accueil, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni). Le décret du 6 septembre 2011, pris en application de la loi Besson sur l’immigration, a augmenté de 35% les ressources mensuelles exigées pour un titre de séjour (620 euros contre 460 euros auparavant). La loi de finance de 2012, a multiplié par quatre le coût du renouvellement du titre de séjour des étudiants qui veulent changer de statut pour travailler en France (200 à 358 euros contre 55 à 70 euros précédemment). Enfin, la taxe que doivent payer les étudiants en situation irrégulière lors de la demande de régularisation passe de 200 euros en 2011 à 340 euros, dont 110 euros ne sont pas remboursables en cas de refus.
De même que les méthodes utilisées pour la chasse aux « sans-papiers » sont appliquées à la répression des mouvements sociaux, la hausse du coût des études pour les étudiants étrangers préfigure la politique de sélection par l’argent que le gouvernement veut imposer à tous les étudiants. Ainsi, la Conférence des grandes écoles (CGE) demande-t-elle que l’on instaure la sélection des étudiants à l’entrée de l’université et des frais de scolarité de 3000 euros. Et le Président de la CPU va dans le même sens [1].
Les restrictions imposées aux étudiants étrangers participent de la politique d’ensemble de la bourgeoisie. Contre le droit aux études pour tous, la « réforme » de l’université et de tout le système éducatif vise à exclure très tôt une grande masse de jeunes de l’école, les vouant à l’apprentissage et à la précarisation. Le développement des formations en « alternance » à l’université soumet les étudiants aux besoins du patronat local. Ainsi, par exemple, à Saint-Étienne, « Le Medef Loire, en partenariat avec l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, a publié le "Guide des compétences : les licences". Ce guide indique pour chaque licence les capacités acquises par l’étudiant, et les domaines d’application en entreprise. La commission emploi formation du Medef Loire a également mis en place un tableau de concordance entre les licences et les emplois occupés en entreprise, outil d’aide à la décision pour les recruteurs » (site du Medef de Saint-Etienne).
La mise sous tutelle patronale de la formation, le développement des licences pro, des « formations maison », non diplômantes et à durée limitée (la certification remplaçant le diplôme), offre au patronat une main d’œuvre exploitable, flexible et au moindre coût…
En outre, pour certaines entreprises, l’appel à une main d’œuvre étrangère hautement qualifiée est un autre moyen de « réduire les coûts ». C’est aussi le cas dans le Fonction publique. Dans les hôpitaux, on fait appel à des médecins étrangers sous statut précaire payés la moitié moins que les médecins titulaires. Ils seraient 15 000 dont environ 4000 diplômés hors Union européenne selon les chiffres officiels.
Désignés comme des clandestins en puissance, les étudiants étrangers doivent, chaque année, pointer à la préfecture avec leur bulletin de notes, faire la preuve de leurs revenus… Cette stigmatisation participe d’une politique d’ensemble qui cherche à désigner des boucs émissaires alors que le chômage qui frappe la jeunesse est lié au fonctionnement de l’économie capitaliste.
La circulaire du 12 janvier complète celle du 31 mai. Pour le Collectif du 31 mai, « cette circulaire n’est pas une solution, elle est même un danger ». Elle encourage, par exemple, les étudiants à demander une autorisation provisoire de séjour (APS). Le Collectif considère que cela facilite le renvoi des étudiants dans leur pays d’origine.
En outre pour appuyer sa demande d’exercice d’une première activité professionnelle, le diplômé sera incité à présenter « une attestation établie conjointement par le directeur ou le président de l’établissement d’enseignement supérieur et le chef d’entreprise » certifiant que l’emploi prévu correspond bien au diplôme. Pour obtenir le changement de statut d’étudiant à salarié, le Collectif constate que la circulaire « ajoute de nouvelles pièces au dossier » ; elle « égrène une liste de cas particuliers » ; et « rien n’est prévu pour le règlement des dossiers en souffrance dans les préfectures ».
La circulaire indique, en effet, que l’autorité administrative pourra prendre en compte les « profils » (niveau d’étude, résultats de l’étudiant) « aptes à affronter le marché international de l’emploi et des compétences » ; le « parcours » de l’étudiant « inscrit dans le cadre d’une mobilité encadrée par une convention entre un établissement universitaire du pays d’origine et un établissement universitaire français, financé en partie par la France » ; les intérêts que l’entreprise possède dans « le pays d’origine, la zone géographique ou culturelle du ressortissant étranger »…
Les remarques du Collectif du 31 mai sont justes. Cependant, certains arguments utilisés dans la pétition du Collectif sont particulièrement dangereux. Expliquer que la circulaire du 31 mai condamne les entreprises à « renoncer à un véritable facteur de compétitivité » et la France « à perdre rapidement la place qui est la sienne dans le concert des nations » va dans le sens de la politique « d’immigration choisie ». D’ailleurs, la circulaire du 12 janvier soumet plus encore l’autorisation de séjour au profit que réalisera l’entreprise en embauchant ces jeunes. La France est un vieil État impérialiste, colonial. Aujourd’hui, déclassé, cet impérialisme cherche par tous les moyens à défendre ses parts de marché et ses confettis d’empire : la francophonie, comme l’immigration choisie sont l’un de ces moyens.
À l’évidence, les intérêts des étudiants, des jeunes travailleurs, français ou étrangers, sont contradictoires à ceux du patronat et du gouvernement. Une fois de plus, le combat pour l’abrogation de cette circulaire (et de tous les textes qui vont dans le même sens), ne peut, en aucun cas, être mené en alliance avec des patrons [2], ni en reprenant les arguments de l’immigration choisie que valorise, par exemple Givadinovitch, secrétaire UMP : « Fiers d’appartenir à la communauté française au sens large, ces étudiants sont les premiers à respecter nos valeurs ainsi qu’à les faire rayonner ». Et les directeurs de labos, qui dénoncent une circulaire parce qu’elle nuit « l’attractivité de la recherche et des universités françaises prônée par le gouvernement » [3], se situent aux côtés des patrons qui défendent la « compétitivité des entreprises françaises ». Or, en distinguant immigrés « utiles » et « mauvais », on justifie les expulsions. « Aux immigrés “choisis” s’opposent ceux qui n’ont pas été choisis et que l’on appelle les “indésirables” » [4], explique Gérard Noiriel.
Le 18 janvier, la nouvelle majorité du Sénat (PS, PCF, Verts, Radicaux) a vivement critiqué la circulaire Guéant. Mais, la résolution adoptée appelle le gouvernement à mieux « prendre en compte dans sa politique migratoire, les nécessités du rayonnement international de la France ».
On ne peut que dénoncer le fait que les étudiants étrangers soient défendus non en tant qu’étudiants, mais pour la « richesse » économique qu’ils représentent.
Combattre cette politique, c’est exiger l’abrogation sans condition des circulaires Guéant. De même qu’il faut abroger le décret du 6 septembre 2011 qui augmente les frais d’inscriptions.
Ces textes sont une application des lois sécuritaires et « d’immigration choisie », dont la loi Besson « relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité » du 16 juin 2011 est la dernière en date. La politique sécuritaire participe pleinement de l’offensive contre la jeunesse et contre l’ensemble des travailleurs détruisant les acquis sociaux arrachés précédemment. Les outils et les méthodes pour réprimer les mobilisations sociales sont testés dans la chasse aux sans-papiers.
L’unité des organisations de la jeunesse et des organisations ouvrières doit se réaliser pour en finir avec cette politique :
Cela implique de combattre pour l’arrêt immédiat des interpellations, des expulsions ; la fermeture des Centres de rétention (CRA) ; l’abrogation de toutes les lois qui, en interdisant la liberté de circulation et d’installation, créent les « sans-papiers ».
Place Beauvau, le 10 janvier 2012, Guéant annonçait le chiffre record de 32 912 « reconduites à la frontière » (éloignement forcé) en 2011, soit plus 17,5% par rapport à 2010 et trois fois plus qu’en 2002. Stigmatisation des étrangers et expulsions sont des moyens pour casser la solidarité de classe entre les travailleurs et la jeunesse, solidarité indépendante de leur origine géographique. Ce sont les accords de gestion des flux migratoires, les lois françaises et les directives de l’Union Européenne, qui restreignent les libertés et créent les sans papiers. Affirmer la solidarité de classe entre les travailleurs et la jeunesse de France et d’Afrique, c’est combattre contre Sarkozy et sa politique aussi bien sur les questions de politique intérieure que sur celles de politique extérieure. Cela implique de définir des revendications claires :
- Abrogation de tous les accords passés par l’impérialisme français avec les États dominés, retrait des accords passés par le gouvernement français dans le cadre de l’UE ! - Retrait sans condition et total de toutes les troupes françaises, de tous les avions de Djibouti, du Sénégal, du Gabon, du Tchad, de Centrafrique, de Côte d’Ivoire, et de toute l’Afrique ! - Annulation des dettes des pays dominés (dettes publiques et dettes privées) ! C’est sur ces bases que peut et doit se réaliser l’unité des partis et organisations ouvrières (PS, PCF, PG, NPA, CGT, FO, FSU, UNEF…). |