Zapatero dégaine Reagan de sa tombe
Le 3 décembre 2010 vers 17h 00, la majorité des aiguilleurs du ciel espagnols (entre 70 et 90%) ont cessé leur travail alors qu’ils étaient depuis fin 2009 en conflit avec le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero pour défendre leurs conditions de travail. En effet, celui-ci venait d’approuver la privatisation partielle des aéroports de Madrid et de Barcelone, les deux aéroports espagnols rentables.
Majorque, http://sos-crise.over-blog.com
Ce mouvement a pris fin dès le lendemain, le samedi 4 décembre, lorsque le gouvernement a décrété l’état d’urgence et mis les aiguilleurs sous tutelle de …l’armée. Une décision, certes constitutionnelle mais inédite depuis l’adoption de la Constitution espagnole en 1978, trois ans après la mort du dictateur Franco. Cette mesure est officiellement destinée à aider le gouvernement à faire face à des catastrophes naturelles telles que des séismes et des inondations, ou, dans ce cas précis, au blocage d’un service public reconnu essentiel pour le fonctionnement du pays (article 116 de la Constitution, loi organique 4/ 1981 du 1er Juin, pour les états d’alerte, d’exception et de siège).
Le décret royal a été signé sur proposition du Conseil des Ministres pendant la nuit du 3 décembre par le roi Juan Carlos à … Mar Del Plata, en Argentine, où il participait à un Sommet ibéro-américain (personne n’a songé depuis à une possible volonté des grévistes d’empêcher le retour du monarque, un remake de Varennes à l’envers, en quelque sorte).
Le conflit avec le gouvernement a commencé dès la fin 2009, lorsque celui-ci avait dénoncé les salaires trop élevés des aiguilleurs du ciel espagnols (quelques 2.400 personnes) avec l’intention à peine voilée de privatiser les aéroports les plus rentables. Dès Février 2010, le gouvernement avait adopté un décret qui changeait sans aucune concertation les conditions de travail avec notamment une augmentation des heures de travail et une réduction des heures supplémentaires autorisées :
De 1200 heures par an, plus 600 heures supplémentaires, on passait à 1670 heures avec seulement 80 supplémentaires autorisées.
Cela revenait à une perte sèche de revenu pour les salariés de…40% : ainsi un employé gagnant auparavant 350 000 euros, n’en gagne « plus que » 200 000.
Un salaire certainement attractif pour les médias et pour beaucoup d’entre nous ! Mais surtout un paravent pour la stratégie du gouvernement…comme aux États-Unis le siècle dernier, rappelez-vous, en cinémascope…
Mais le problème n’était pas strictement économique. Car la modification du temps de travail par aiguilleur impliquait inéluctablement que les aiguilleurs allaient atteindre leur contingent d’heures avant la fin de l’année et par là créer une pénurie de main d’œuvre dans les derniers mois. Sauf à augmenter les effectifs, ce qui n’est pas dans l’air du temps.
Et ce qui devait arriver arriva !
Dès la nuit du 28 novembre 2010, 10 des 28 contrôleurs aériens de la Galice ayant atteint leur contingent annuel d’heures supplémentaires décidèrent, conformément à la loi et en dépit des pressions diverses, de ne pas assurer le contrôle aérien.
Cette situation, largement prévisible par la direction, provoqua la fermeture partielle de l’espace aérien du secteur et le début d’une campagne médiatico-politique de rejet.
Il n’est pas surprenant que cette nouvelle offensive du gouvernement « socialiste » soucieux d’imposer le néolibéralisme se soit portée sur des salariés « privilégiés » avec des salaires élevés, l’opinion publique et les médias « pavloviens » étant largement habitués et préparés à vilipender ces « traîtres ».
Ceci alors que, depuis 2007, le chômage a explosé (20.7 % de la population active, chiffres officiels de janvier 2011). La grève générale du 29 septembre contre la politique antisociale du gouvernement avait rassemblé plus de 1,5 millions de salariés et autres chômeurs ou retraités. Mais comme on dit chez nous… « personne ne s’en aperçoit ». Grève d’un jour, convoquée plus de deux mois après que la « réforme du travail » ait été votée…
M Cándido Méndez (secrétaire général d’UGT, Union Générale des Travailleurs) avait pourtant déclaré « la grève générale a brisé le mur du son », elle est « une réussite démocratique »…
L’attitude martiale de l’exécutif espagnol (PSOE : Parti Socialiste Ouvrier Espagnol…) illustre la façon dont les gouvernements européens sont déterminés à poursuivre la privatisation du secteur public et la baisse des dépenses sociales pour faire payer aux travailleurs la crise du capitalisme et, par là-même sauver les grandes banques...en invoquant toujours l’Europe qui l’exige.
L’instauration de l’état d’urgence a été justifiée par le gouvernement par « la calamité d’une ampleur considérable » provoquée par cette grève en plein pont des vacances de Noël !
Soyons clairs : dès le samedi 4 décembre, ne pas aller travailler signifiait pour les aiguilleurs se rendre coupable d’un crime de désobéissance voire de sédition sanctionnés par le Code pénal militaire (loi pénale de navigation aérienne de 1964). Crimes passibles respectivement de deux et huit ans de prison d’après le Procureur Général de l’Etat, Cándido Conde-Pumpido et le vice-premier ministre, Alfredo Perez Rubalcaba (appelé le « super » ministre, car à la fois vice-président et ministre de l’intérieur, il est annoncé comme le successeur de Zapatero).
Dans le même temps, le ministre du Développement M. José Blanco a menacé les travailleurs dans ces termes : « Je comprends qu’il soit difficile d’accepter de passer d’un salaire moyen de 350.000 euros par an à 200.000 euros, mais ce ne sont que quelques citoyens qui gagnent cela. Combien de personnes voudraient travailler pour des salaires bien en dessous ? ». La presse a bien entendu largement passé sous silence la privatisation des aéroports.
De son côté, le syndicat majoritaire (USCA, Union syndicale des aiguilleurs aériens) affirme que le but de ce conflit est, au-delà du cas spécifique des aiguilleurs, d’accélérer la privatisation de l’Aéroports Espagnols Navigation Aérienne (AENA). Le gouvernement « a agenouillé le peuple devant les intérêts et la pression du marché, des banquiers, du patronat ».
L’AENA est, aujourd’hui, une société publique très rentable et donc très attrayante pour les grands groupes. Entre 2000 et 2007, le trafic des aéroports gérés par AENA est passé de 141 millions de passagers à 211 millions. Une croissance de 50% non accompagnée d’une augmentation proportionnelle du nombre de salariés.
À noter : l’UGT a condamné « l’action du gouvernement, la privatisation d’AENA » et s’est prononcée « Pour une autre grève générale » (comme celle du 29 septembre) ! Mais seul le S.T.A.V.L.A (Syndicat des personnels volants, majoritaire) a appelé les autres travailleurs à la solidarité dans un communiqué du 5 décembre qui accuse le gouvernement « soi-disant socialiste », « soi-disant démocratique » d’adopter « un manichéisme brut et grotesque pour discréditer le collectif des contrôleurs du trafic aérien »). Quant à l’UGT, comme les autres directions syndicales, elle n’a pas appelé les travailleurs des aéroports, pilotes, mécaniciens, hôtesses, agents commerciaux et administratifs, personnel de logistique, de nettoyage… à se joindre à la grève spontanée des aiguilleurs du ciel pour le retrait du décret de loi d’état d’urgence, pour l’abrogation du décret loi de privatisation d’AENA, pour la défense des postes menacés.
J’oubliais, mais tous connaissent le film… Reagan licencia 11 359 contrôleurs aériens en grève le 5 août 1981 pour avoir ignoré son injonction de reprise du travail. C’était le début de l’offensive contre l’ensemble du prolétariat américain.
8 janvier 2011 |
Pour la première fois dans l’histoire de la démocratie espagnole, un gouvernement déclare l’état d’alerte.
Il est intolérable qu’un gouvernement supposément démocratique, et qui se dit socialiste, ait profité de la Constitution espagnole (plus précisément l’article 116) dans le seul but d’essayer de faire plier un groupe professionnel, victime d’une manœuvre orchestrée par le gouvernement depuis quelques mois.
La manipulation a été la pierre angulaire de cette manœuvre. Le gouvernement a eu recours à un manichéisme brut et grotesque pour discréditer le collectif des contrôleurs du trafic aérien, il leur a manqué de respect publiquement dans chaque déclaration et a essayé de les priver de toute dignité professionnelle et personnelle. Le gouvernement en est même venu à favoriser le mépris public de nombreux contrôleurs du trafic aérien par la diffusion de situations humiliantes dans tous les médias. Cette pression physique et psychologique à laquelle ont été soumis les contrôleurs aériens n’a pu être supportée que par le profil psychologique fort des hommes et des femmes qui composent ce groupe professionnel.
L’incapacité du gouvernement actuel à conclure des accords collectifs avec les contrôleurs du trafic aérien depuis 2005, l’a amené à agir sur la base de décrets et de décisions unilatérales, dans un net recul pour les droits des travailleurs, injustifié et inacceptable. Celui qui ne veut pas voir, lire et entendre que cette manœuvre est seulement un défi personnel rendu possible par la force du gouvernement, ne veut pas voir la REALITE de tout ce qui est en train de se passer dans notre pays.
Les conventions collectives ont été signées pour être respectées par les deux parties, pas pour que les gouvernements les ignorent et imposent de nouvelles conditions par la force militaire et la menace d’emprisonnement.
Nous, S.T.A.V.L.A., voulons affirmer notre plus sincère soutien, sympathie et affection au Collectif des contrôleurs du trafic aérien qui, heureusement, a contrôlé notre ciel de façon sûre et efficace pendant de nombreuses années, ainsi qu’à leur syndicat majoritaire, USCA, dans leurs revendications. Nous leur souhaitons le meilleur pour l’avenir en espérant que leur courage servira à réveiller une société endormie, individualiste et timorée dans la défense de ses droits du travail et de ses droits économiques dans le pays avec le taux de chômage le plus élevé d’ Europe. Si nous tombons dans la manipulation mensongère du gouvernement et encourageons son action, nous laisserons cette atteinte aux droits fondamentaux de tous les travailleurs espagnols prospérer et s’installer à tout jamais.
"Si l’on rosse ton voisin, tu peux préparer tes reins."
Communiqué du STAVLA, 5 décembre 2010