Enseignement, Université, Recherche
Compétence contre diplômes nationaux
L’approche par compétence s’immisce de partout dans le système éducatif. Présentée comme la pédagogie du XXIème siècle, elle accompagne toutes les réformes de l’enseignement. Une intarissable rhétorique défend et encense ce système présenté comme une nouvelle « pédagogie ». Selon la Commission européenne, « il se dégage, dans toute l’Union, une tendance claire en faveur d’un enseignement et d’un apprentissage axés sur les compétences (...). Le cadre européen des compétences clés a largement contribué à cette évolution. Dans certains pays, celui-ci a été au cœur de la réforme des politiques éducatives »[1].
La notion de compétences est née dans le monde de l’entreprise. L’introduction d’un enseignement fondé sur les compétences serait-elle le fruit des brillants travaux de psychopédagogues progressistes ainsi que certains le présentent ? Ne répond-elle pas plutôt aux besoins actuels du marché du travail, aux besoins du capitalisme en crise ?
En France, en Grande Bretagne, des enseignants dénoncent les évaluations nationales fondées sur cette « approche par compétences » ; d’autres expriment de vives critiques envers les nouveaux programmes qui se mettent corrélativement en place.
Mais une des conditions pour que ces combats puissent se centraliser, s’unifier, c’est de re-situer chacun des aspects de ces réformes dans le cadre général où elles sont mises en place et d’en comprendre les objectifs d’ensemble.
Si l’école doit assurer l’instruction, cette instruction a été pensée de façons différentes depuis l’école obligatoire de Jules Ferry. Les gouvernements au service de la bourgeoisie ont toujours fixé des objectifs idéologiques et économiques au système scolaire. Les « hussards noirs de la République » devaient « former une génération de bons citoyens »[2]. Pour Ferry « l’égalité scolaire » ne supprimait pas les rapports de classes. Elle devait être un facteur de cohésion sociale en créant, sur les bancs de l’école, une « confraternité d’idées ». Et, s’il fallait ôter à l’Église le contrôle du savoir (la science devenant un important facteur de production), une nouvelle idéologie se réclamant de la science (le positivisme) devait étayer l’ordre social.
De son côté, la classe ouvrière a cherché à imposer un véritable enseignement pour ses enfants : la revendication d’une « éducation publique et gratuite pour tous les enfants » figure dans le Manifeste Communiste de 1848 ; la Commune de Paris (premier gouvernement ouvrier) décide en 1871 la séparation de l’Église et de l’État et la gratuité de l’enseignement. Après la Deuxième Guerre mondiale, le système d’enseignement a aussi été façonné par la volonté des gouvernements en réponse aux besoins économiques. Mais on ne peut oublier l’impact qu’ont eu les mouvements sociaux, l’exigence notamment, du droit aux études, de la gratuité (lutte contre la « sélection » à l’entrée de l’Université en 1968…) sur la réorganisation et l’évolution des systèmes d’enseignement jusqu’aux années 1980.
Depuis plus de dix ans, l’approche par compétence (APC) est mise en œuvre dans certain pays d’Europe comme la Belgique (l’APC est aussi utilisée aux États-Unis, en Argentine, en Australie, en Afrique. Elle est présentée comme une pédagogie active, novatrice).
Deux grands courants pédagogiques façonnent l’enseignement : la pédagogie frontale (cours magistraux) et la pédagogie active (l’élève est acteur, ce qui développe son esprit critique) ; en fonction de l’âge des élèves, de leur degré d’instruction, de nombreuses études ont montré que ces pédagogies peuvent se combiner de façons différentes. Chacune a pour objectif l’acquisition d’un savoir et propose une façon d’acquérir ce savoir.
Mais l’APC s’avère être la négation des travaux de Piaget, Vygotski, des approches de Freinet. Elle ne constitue en rien un outil pour remédier à l’échec scolaire (lequel est largement induit par les « réformes » telle la diminution des horaires de français… et par les conséquences sociales du chômage et de la misère). En effet, dans la pédagogie active, le savoir constitue le but même de l’apprentissage et l’activité de l’élève est le moyen de le faire accéder au savoir.
La définition des compétences adoptée par le parlement européen, le 26 septembre 2006, est la suivante : « Une compétence est une combinaison de connaissances, d’aptitudes (capacités) et d’attitudes appropriées à une situation donnée. Les compétences clés sont celles qui fondent l’épanouissement personnel, l’inclusion sociale, la citoyenneté active et l’emploi ». C’est ainsi que « savoirs » et « savoir-faire » sont mis sur le même plan... et sur un pied d’égalité avec le comportement des élèves (les « savoir être », « attitudes »). Pour l’APC, le but de l’apprentissage est la résolution d’une tâche ; le savoir est accessoire, c’est un outil qui permet de développer des savoir-faire.
Angélique del Rey rappelle que pour le Conseil de l’Europe, « les compétences clés étaient essentielles dans une société fondée sur la connaissance et garantissaient davantage de souplesse de la main-d’œuvre ». La flexibilité du travailleur lui permettrait de s’adapter plus rapidement à l’évolution constante du monde « caractérisée par une plus grande interconnexion. »
La notion de compétences, explique-t-elle, « est au croisement de trois processus, dont aucun n’est éducatif en son essence : processus de mesures et d’évaluation des aptitudes (issu notamment de la recherche en psychologie cognitive), processus économico-politique (modélisation de l’éducation comme marchandise), processus de gestion des ressources humaines qui a contaminé l’école dans les années 80 via la formation professionnelle et l’orientation scolaire. »[3]
Comment ce dispositif se met-il en place en France ?
Loi d’orientation Fillon de 2005, livret de compétences, évaluations En cinq ans, les textes d’application de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 se sont multipliés. Le décret du n° 2006-830 relatif au « socle commun de connaissances et de compétences » est publié au JO du 12-7-2006). Le décret n° 2007-860 du 14 mai 2007 officialise le Livret personnel de compétences (LPC) ; la circulaire n° 2008-155 du 24-11-2008 met en œuvre le livret scolaire à l’école. Le ministère a publié une foule d’outils nationaux, attestations, grilles de référence, livret de compétences… autant de moyens pour l’évaluation de compétences. Le site Eduscol publie les « Repères pour la mise en œuvre du livret personnel de compétences » : http://eduscol.education.fr/cid4562... En application de la loi relative à l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie (2009), la circulaire 2009-192 du 28-12-2009 met en place le livret de compétences expérimental (LCE, BO 7 janvier 2010) : il enregistre les compétences acquises dans le cadre scolaire, hors du cadre scolaire et dans la découverte du monde professionnel. Durant l’été 2010, le gouvernement accélère le « fichage des compétences » avec l’arrêté du 14 juin 2010 relatif au livret personnel de compétences (LPC) ; une circulaire du 18 juin met en œuvre ce LPC avec une application numérique sous Sconet. Le Bulletin officiel n°27 du 8 juillet 2010 publie le Livret personnel de compétences (LPC). Il est présenté comme un « outil national qui suit l’enfant tout au long de sa scolarité ». Ce LPC rassemble le bilan de fin de CE1 (palier 1), celui de fin de CM2 (palier 2) et celui de fin de collège (palier 3). L’arrêté du 14 juin 2010 relatif au LPC et la circulaire du 18 juin mettent en place une application numérique sous SCONET du LPC. Les « évaluations nationales » en primaire sont partie intégrante de ce nouveau dispositif. Le Monde du 7 décembre 2010 a publié les résultats de l’enquête PISA. PISA est le programme international pour l’évaluation des élèves de 15 ans mis en place par l’OCDE depuis l’année 2000. L’objectif est de fournir des indicateurs aux gouvernements pour le pilotage des systèmes éducatifs. Avec les résultats, l’OCDE publie dix commandements. Des directives nationales doivent, entre autre, indiquer les connaissances à connaître mais aussi les valeurs à transmettre et les attitudes à acquérir ; les chefs d’établissement doivent être des leaders ; les redoublements sont à proscrire... À peine publiés, les résultats de l’enquête PISA servent à justifier la politique du gouvernement en matière scolaire.
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En France, la loi Fillon de 2005 est le socle législatif de toutes les « réformes » actuelles dans le premier et le second degré. Le décret relatif au « socle commun » rappelle l’article 9 de cette loi d’orientation : “la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société” .
Quant à l’article 2 de cette même loi, il stipule : “la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Pour toutes ces raisons, le socle commun est le ciment de la Nation : il s’agit d’un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques dont l’acquisition repose sur la mobilisation de l’école et qui suppose, de la part des élèves, des efforts et de la persévérance.”[4]
Les objectifs idéologiques et comportementaux sont donc ouvertement affirmés et présentés comme essentiels. Le « socle commun » diffère fondamentalement des programmes, lesquels, traditionnellement, fixent les contenus disciplinaires (connaissances et méthodes) à acquérir pour chaque niveau de la scolarité. Et le décret poursuit :
“La définition du socle commun prend également appui sur la proposition de recommandation du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne en matière de “compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie”.
Elle se réfère enfin aux évaluations internationales, notamment au Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) qui propose une mesure comparée des connaissances et des compétences nécessaires tout au long de la vie.”
Angélique del Rey cite certaines recommandations de l’Union européenne : “L’individu devrait être capable de gérer le stress et la frustration et les exprimer de manière constructive” ; “les individus devraient avoir des aptitudes à communiquer […] et adapter leur communication en fonction du contexte” ; “ le monde évolue rapidement” (…) “ il faut donc s’y adapter avec souplesse”.[5]
“J’en déduis”, dit-elle, que “la formation par compétences n’a pas seulement pour but de permettre à l’individu de s’adapter à un monde difficile (récit), mais aussi de le dresser à obéir à un principe de compétitivité (processus)”. Dans tous les pays, des États-Unis à l’Australie, de l’Argentine au Togo, il s’agit de “permettre à l’élève de s’adapter à un monde nouveau et en perpétuel changement, caractérisé par la compétition et la menace de la précarité”.
Socle commun, évaluation des compétences et Livret personnel de compétences, évaluations nationales (en primaire actuellement en France), évaluations internationales (PISA) forment donc un tout cohérent : ce sont autant d’instruments de pilotages des systèmes éducatifs au service des besoins du capitalisme décadent.
Concrètement, l’APC entraîne la dissociation des savoirs, l’abandon des savoirs structurés au profit de vagues compétences dites transversales ( « résoudre un problème », « faire une recherche documentaire », « communiquer »,...) dont les définitions restent floues.
Dans l’évaluation par compétences, toute tache complexe (la lecture, l’expression écrite…) est divisée en une multitude de compétences. Sur le site Sauver les lettres, un professeur de lettres confronté à la mise en œuvre de l’évaluation par compétences donne les exemples suivants :
« en sixième, pour évaluer les qualités de compréhension d’un jeune lecteur, on trouve les items (nom savant donné à chaque compétence évaluée) suivants : identifier le cadre de l’histoire, identifier le personnage principal, identifier les forces agissantes du récit, comprendre la situation, identifier le genre d’un texte... Outre l’absence totale de pertinence de certains "items" - on peut très bien comprendre un texte sans en identifier le genre - on peut s’interroger sur l’intérêt d’un tel morcellement. Qui ne voit en effet qu’un élève qui ne maîtriserait qu’une partie de ces compétences, un élève qui, par exemple, aurait identifié personnage principal et cadre mais ne comprendrait ni la situation ni les actions des autres personnages n’aurait tout simplement rien compris à l’histoire ? Pourtant, d’un tel élève, on dira, d’après ce type d’évaluation, qu’il a 50% de réussite en compréhension de texte. Réussite qui, on l’aura compris, ne signifie rien.
De même, en ce qui concerne l’écriture, on trouve des items comme : utiliser correctement les temps verbaux, les pronoms personnels, les articles, savoir faire progresser les informations, enchaîner les idées... Mais là encore, chacun comprendra aisément qu’écrire correctement, c’est coordonner toutes ces compétences. Considérées isolément les unes des autres, ces compétences ne signifient rien, elles n’ont aucune valeur (…).
Une telle absurdité est poussée jusqu’aux examens nationaux où, pour corriger les copies, les professeurs reçoivent des consignes de plus en plus pointues : pour la rédaction d’une lettre, on attribuera des points à l’élève qui aura mis une date en haut à droite, à celui qui aura utilisé une formule d’introduction ou de salutation, à celui qui aura fait des paragraphes... Peu importe si ces paragraphes ne correspondent à aucune articulation de la pensée et si l’ensemble est un charabia inepte. »[6]
Et l’enseignante de conclure : si un élève a validé 50 ou 60% d’items, cela ne garantit en rien de réelles capacités de compréhension et d’expression. « La qualité de l’ensemble du travail de l’élève disparaît derrière la myriade des "compétences". (…) Nous pouvons donc affirmer que l’évaluation par compétences, fortuitement ou fort avantageusement, participe de la dévaluation des examens ».
Pire encore. Avec le socle commun, est instaurée par décret, l’évaluation des « attitudes ». Il faut désormais évaluer, entre autres, "la volonté" dont l’élève fait preuve, son "goût pour les sonorités, les jeux de sens", son "intérêt pour la lecture", son "ouverture à la communication, au dialogue », "la confiance en soi" ou "le désir de réussir", "la curiosité pour la découverte des causes des phénomènes naturels", "le respect de la vérité rationnellement établie" ; " la responsabilité face à l’environnement, au monde vivant, à la santé".
Le jugement sur la personne est légalisé et rendu obligatoire dans l’évaluation dudit « socle commun ». L’évaluation de la capacité à réaliser un exercice, une tâche à un moment donné est transformée en opération de formatage du goût, des opinions…. au mépris de la liberté de pensée, de la liberté de conscience des individus.
Avec le socle commun, l’objectif de l’enseignement n’est plus le développement de l’intelligence :
"C’est ce cheminement dans la pensée qu’évaluait jusqu’à une époque qui paraît quasiment révolue un professeur qui donnait régulièrement à ses élèves des contrôles qui constituaient autant de tâches complexes à la difficulté graduée : calculs, résolution de problèmes, rédaction, questions sur un texte... Le souci du professeur n’était alors pas de vérifier si l’élève savait réaliser tel exercice mécanique, ni s’il mettait en œuvre telle ou telle "compétence", mais dans quelle mesure l’élève savait user de sa raison et mobiliser ses connaissances pour résoudre le problème, exécuter la tâche. Il jugeait alors de la qualité globale du travail fourni selon un certain nombre de critères : justesse du résultat obtenu, pertinence de la démarche utilisée, qualité du raisonnement, richesse des exemples, clarté de la rédaction, précision des réponses... autant de critères qui permettent de juger du degré d’élaboration de la pensée atteint à un moment précis".
L’élaboration de la pensée est un acte complexe. L’intelligence, rappelle cette enseignante, "est étymologiquement, "mise en relation" ("intelligere" = qui sait faire le choix entre, ou comprendre). Elle se développe avec la capacité de coordonner ses connaissances. L’approche par compétences réduit la pensée à une succession de procédures, à la maîtrise de compétences déconnectées les unes des autres.
"La multiplication des compétences dans tous les domaines de l’enseignement n’est donc pas seulement absurde et arbitraire, elle est aussi terriblement néfaste (…) : plus on multipliera et on visera les compétences mises en œuvre dans les processus complexes de la pensée, plus on empêchera les élèves d’accéder à cette pensée complexe."
Les nouveaux programmes (primaire et secondaire) font couler beaucoup d’encre. Ils sont souvent jugés très ambitieux.
En primaire, ils sont présentés comme un « retour aux fondamentaux ». Mais dans le même temps, les heures d’enseignement sont diminuées (deux heures hebdomadaires en primaire, soit une diminution annuelle équivalent à trois semaines de cours), nombre de postes d’enseignants spécialisés (Rased), de postes de remplaçants (ZIL, brigade) sont supprimés.
De nouveaux programmes sont aussi progressivement mis en place dans le second degré : diminution des horaires ; diminution des « connaissances exigibles » au profit de « compétences attendues ». Ainsi, dans les disciplines scientifiques, sur les trois années de lycée, les élèves perdent 1h30 hebdomadaire de mathématiques, 2 heures de Sciences Physiques et 1h30 de SVT.
Pour toutes les disciplines, l’objectif de faire acquérir nombre de notions de bases - à partir de cours structurés - disparaît au profit de thèmes proches de la vulgarisation scientifique (santé, univers…), ou contribuant à donner un vernis culturel (histoire des arts), voire du bourrage de crâne ( « patrimoine » culturel, développement durable…).
La réforme des lycées conduit à l’éclatement de la classe : chaque élève participera de plus en plus à une multitude de groupes de composition diverse. Cela permet une mise en œuvre à géométrie variable des programmes selon les établissements, et à l’intérieur du même établissement : cela conduit à augmenter les inégalités entre les élèves de différents établissements et à l’intérieur d’un même établissement.
« Individualisation » des parcours, socle commun, livret personnel de compétences forment un tout. C’est l’égalité devant l’enseignement qui est ouvertement mise en cause.
L’exemple des sciences physiques Un professeur de sciences physiques 1 analysant les nouveaux programmes de seconde fait les constats suivants : « Comme souvent, la régression des contenus est accompagnée de termes pédagogistes : « donner du sens », « réalisation de projets », « acquisition de compétences », « devenir autonome ». Le préambule du nouveau programme de seconde ne contient qu’un mot écrit en gras : celui de « compétences », nouveau credo de l’éducation nationale. Les connaissances exigibles, elles, sont en berne. Une entrée thématique de l’enseignement (santé, pratique sportive, univers) est justifiée par « la prise en compte de la diversité des publics accueillis [qui] nécessite une adaptation des démarches et des progressions ». Traduction pratique : un fouillis de notions disparates, et la disparition de la colonne « connaissances exigibles » au profit de « compétences attendues » minimalistes, souvent réduites à de l’expérimental. La colonne « notions », très succincte, ne décrit que ce que le professeur doit discuter ( « il s’agit des concepts à étudier »), et non pas ce que les élèves doivent retenir*. Il sera donc plus facile de traiter ce programme à différents niveaux, selon le « public accueilli ». La première page du programme (thème : la santé) en donne déjà une idée. Dans la colonne « notions », on lit par exemple « Réflexion et réfraction ». En regard, cette unique « compétence », parfaitement obscure au demeurant : « Mener une étude expérimentale sur la réflexion et la réfraction ». Exit semble-t-il la mémorisation et l’application en exercices de la loi de Descartes, qui permettaient de vérifier la réelle compréhension du phénomène ; et d’appliquer au passage un peu de géométrie et de trigonométrie. Sur ce modèle, de nombreuses notions apparemment conservées sont en fait privées de leur formulation exacte. Sur la même page, on lit dans la colonne « notions » : « Ondes sonores, ondes électromagnétiques. Domaines de fréquences ». Mais voici tout ce que l’on doit attendre des élèves : « Extraire et exploiter des informations concernant la nature des ondes et leurs fréquences en fonction de l’application médicale »**. Autrement dit, ils n’ont quasiment plus aucune connaissance à retenir à ce sujet, puisqu’ils doivent uniquement savoir les « extraire ». D’ailleurs, peuvent-ils réellement comprendre ces notions, alors qu’ils en ignorent les bases : définition d’une onde, d’une longueur d’onde, énergie, champ électrique, magnétique, etc. ? Que signifie dans ce contexte « exploiter des informations » ? Pourquoi renonce-t-on à un apprentissage structuré et progressif*** ? Le cours de sciences doit-il se réduire à de la vulgarisation scientifique ? » Les conséquences sont claires. Le même enseignant constate qu’à l’université, les étudiants de 1re année (INSA) doivent d’ores et déjà rattraper nombre de notions de mécaniques qui ne sont plus étudiées au lycée. Et surtout, ils doivent apprendre à résoudre des problèmes qui sortent des exercices type bac : ceux qui au lycée ont été entrainés à faire des exercices plus poussés s’en sortent ; les autres sont confrontés à des difficultés insurmontables… 1Publié sur le site de l’UFAL http://www.ufal.info/ecole/l%E2%80%... (N Hergott, professeur de sciences physiques) * Lorsque c’est le cas, la connaissance en question est recopiée dans la colonne « compétences attendues » : voir par exemple, la « vitesse de la lumière dans le vide », page n°4 du programme. ** Autres exemples de compétences tout aussi précises : « Lire l’étiquette, la notice d’un médicament et en extraire l’information utile. », « Interpréter les informations provenant d’étiquettes de flacons et de divers documents », « extraire les informations pertinentes dans l’actualité scientifique ». ***Par exemple, le choix d’un domaine de fréquence « en fonction de l’application médicale » fait intervenir de nombreuses notions (équation d’onde, impédance, équations de Maxwell, physique du solide, etc.) qui ne peuvent être comprises que progressivement, bien plus tard. |
Avec l’approche par compétences, il ne s’agit plus d’évaluer en vue de l’obtention de diplômes mais de valider des compétences.
Dès juin 2001, un arrêté décide que l’attribution du diplôme national du brevet (DNB) se fera « en prenant en compte :
a) la maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences, palier 3 ;
b) la note obtenue à l’oral d’histoire des arts ; c) les notes obtenues à l’examen du brevet ; d) les notes de contrôle continu obtenues en cours de formation ; e) la note de vie scolaire ». |
On peut constater que l’évaluation des connaissances disciplinaires est d’ores et déjà marginalisée. D’ailleurs, à terme, le brevet doit disparaître : le rapport parlementaire Groperrin (publié en avril 2009) en réclame la suppression au profit de l’attestation de « maîtrise des connaissances et compétences du socle commun ».
Quant aux compétences évaluées, elles devront être enregistrées dans le LPC de l’élève. Avec l’application numérique du LPC pour l’évaluation des compétences « tout au long de la scolarité obligatoire », la mise en place d’un « passeport de l’orientation et de la formation », en application de la loi de novembre 2009 relative à « l’orientation et à la formation tout au long de la vie » c’est tout un dispositif qui se met en place. Le jeune (et sa famille) sont rendus responsable du « parcours individuel » d’apprentissage et de formation. De même, le salarié doit devenir « responsable de son employabilité ».
Mais si le jeune « élabore » son parcours individuel d’études et de formation, que devient la responsabilité et l’obligation faite à l’État d’assurer à tous les jeunes, un enseignement gratuit et de qualité jusqu’à 16 ans au moins ?
De même, si le salarié devient responsable de son « employabilité », qu’advient-il du droit des salariés à une formation professionnelle payée par l’employeur ? C’est ainsi qu’au nom du droit individuel à la formation (DIF) est peu à peu mis en cause le « droit collectif » à la formation (formation payée par l’employeur). D’ailleurs, la formation professionnelle initiale des enseignants (stages de un ou deux ans payés par l’État), n’est-elle pas aujourd’hui remplacée par la « mastérisation », laquelle fait supporter à l’étudiant le coût de cette « formation » ?
Tout un dispositif se met en place à l’école ; il participe de l’offensive contre les garanties arrachées et incluses précédemment dans le code du travail. Dans l’entreprise, la « compétence » qui individualise le rapport entre le salarié et le patron doit remplacer la « qualification » reconnue et garantie dans les conventions et les statuts collectifs. Disposer d’une main d’œuvre flexible, bon marché, qui s’adapte continuellement aux besoins de la production, tel est la demande du patronat.
En imposant, à l’échelle nationale, les « évaluations individuelles » (de connaissances, compétences, attitudes), le gouvernement œuvre à la dislocation de la valeur nationale des diplômes clé de voûte des anciennes grilles de qualification et des garanties collectives.
Berenschot Belgium, entreprise de conseil en organisation et en ressources humaines http://www.berenschot.be/Services/C...
Ce type d’entreprise se développe : elles offrent leurs « conseils » en matière de recrutement, de salaire... en vue d’optimiser la productivité du travail, c’est à dire l’exploitation du travail salarié. Elles élaborent des plans pour réaménager, en ce sens les conventions collectives… |