Enseignement, Université, Recherche
Le programme de l’UMP : en finir avec l’enseignement public gratuit
L’adaptation de l’école aux conditions spécifiques du capitalisme actuel ne date pas d’aujourd’hui. En France, le retrait du projet Devaquet, imposé par la mobilisation étudiante en 1986, a freiné les velléités de la bourgeoisie. Mais, dès le début des années 2000, de nouveaux textes - lois et décrets - ont engagé des modifications décisives. Les propositions de l’UMP en vue des élections de 2012 sont dans la continuité de ce qui est déjà fait : elles répondent aux demandes du Medef et vont le sens des textes de l’OCDE et de l’Union Européenne. En dégager l’essentiel est indispensable si l’on veut les combattre.
Le document de la convention UMP réunie le 8 novembre 2011 fait un tableau de ce qui a déjà été réalisé. Par empilement de textes (décrets, circulaires, rapports préparatoires), l’Enseignement public, de la maternelle à l’université est peu à peu transformé, adapté aux besoins actuels du capitalisme afin de formater une main d’œuvre soumise, flexible et à même d’entretenir son « employabilité »…
Naples, Street art
Avec ses 30 propositions, l’UMP entend poursuivre l’ouvrage. Elle reprend à son compte nombre de propositions de l’iFRAP[1] véritable « think tank » au service de la bourgeoisie. L’iFRAP fixe l’objectif : sortir les enseignants de la Fonction publique. Il recommande d’ailleurs « d’élargir la vision française des services publics » en déléguant en partie au privé « l’éducation, les crèches et l’accueil des enfants hors temps scolaire, le placement des chômeurs, les hôpitaux… ».
On comprend donc les propos de Sarkozy, le 26 septembre, à l’université d’Assas : « Je ne suis pas venu vous dire que l’on a tout réalisé et tout fait, on a simplement débloqué le système pour lui permettre de se réformer. Il va donc falloir continuer (…) je milite pour un système universitaire qui se réformerait en continu »[2].
Pour l’UMP, le bilan est extrêmement positif pour les jeunes dont la réussite au bac (71,6% d’une classe d’âge) a augmenté de six points, pour les enseignants dont le métier et les salaires ont été « revalorisés » (sic) et pour l’université grâce à l’ « investissement de 39 milliards d’euros » !
En réalité, les mesures mises en œuvre bouleversent les objectifs même de l’école et de l’université.
Individualisation et diversification des parcours
« L’accompagnement individualisé » s’étend du Premier degré au Second degré ; s’y ajoutent les parcours en alternance en 4ème, le programme ECLAIR… Ce processus détruit peu à peu le cadre national des horaires et des programmes. L’évaluation des compétences individuelles est amenée à remplacer l’évaluation des connaissances acquises, définies par des programmes et des horaires nationaux. Le livret personnel de compétences (LPC) devenu numérique, version moderne du livret ouvrier, doit suivre l’élève durant toute sa scolarité et au-delà : il devient un fichier policier.
Le sens de ces parcours à la carte se révèle pleinement avec l’arrêté du 1er aout 2011 qui instaure la « professionnalisation » de la licence. (Voir l’article dans L’insurgé n°9). Les référentiels de compétences sont définis à partir de considérants économiques et de critères d’employabilité. Ils participent de la liquidation de l’enseignement des savoirs et donc de la dévalorisation de nombre de licences ; celles qui maintiendront un niveau de connaissances auront davantage de valeurs. Ainsi va s’accroître la disparité des parcours et les distinctions entre les universités.
L’évaluation des compétences de la maternelle à l’université et l’individualisation des parcours, organisent peu à peu la liquidation de toute valeur nationale des diplômes, y compris celle du bac.
Encadrement policier de la jeunesse
Avec l’installation de systèmes de vidéosurveillance, d’un « correspondant police » avec bureau dans l’établissement scolaire (53 collèges ou lycées concernés), la création de 500 emplois pour les Équipes mobiles de sécurité (EMS), l’encadrement policier de la jeunesse s’étend de plus en plus. Le Système d’informations et de vigilance sur la sécurité scolaire (SIVIS) centralise les informations. Près de 200 chefs d’établissements ont reçu une « formation à la gestion de crise ». De nouvelles procédures et sanctions disciplinaires sont mises en place : des taches d’utilité collective, hors temps scolaire, appelée « mesure de responsabilisation ». Des établissements de Réinsertion scolaire ont déjà été ouverts dans 8 académies…
Toutes ces mesures ignorent totalement les conditions d’enseignement et les conditions sociales des jeunes et de leurs familles. Ainsi s’étend la criminalisation de la jeunesse et des « parents déviants » auxquels on suspend les allocations familiales pour cause d’absentéisme de leur enfant.
Mais au-delà, le développement des « outils d’évaluation » (évaluations en CE1 et CM2, en 5ème, Livret personnel de compétences, bases de données numériques sur les élèves, stockage numérique de bulletins scolaires…) se complète aujourd’hui avec le projet de fichage des élèves de moins de cinq ans. Les arguments de prévention de l’échec scolaire, de bonne « intégration », ne sont là que pour masquer une véritable stratégie. Repérer la supposée « dangerosité » des individus, mêler « conduites à risques » et considérations pseudo-médicales participent de l’ensemble des dispositifs sécuritaires. Ce contrôle policier est facilité par les fichiers numériques.
L’évaluation des « compétences » cognitives, comportementales et psychiques est un outil de formatage d’une main d’œuvre rendue responsable de son employabilité. Pour tenter de maintenir la société capitaliste qui n’offre aucun avenir à la jeunesse, l’État veut associer les enseignants et personnels d’éducation à sa politique de soumission de la jeunesse.
L’autonomie des établissements
À l’université, avec le LMD, la LRU, la loi Adnot… le paysage s’est profondément modifié. « L’autonomie, une révolution au service de la performance » s’enorgueillit l’UMP : d’ici 2012, toutes les universités doivent passer aux « compétences élargies ». Elles doivent désormais gérer leur masse salariale. La dotation de l’État, qui prend en compte la « performance » en matière de recherche et « la réussite et l’insertion professionnelle » des étudiants, est insuffisante pour assurer les salaires. Conséquences : huit universités en déficit sont mises sous tutelle des Recteurs.
Tutelle et autonomie, paradoxalement, se complètent. Quel bon moyen pour réorienter la politique universitaire ! Réduction de 20 % des heures complémentaires et suppression de formations à faibles effectifs (Nantes), gel du recrutement de 10 ATER et suppression de 8 000 heures de formation (Bordeaux)… Selon le SNESup, un millier d’emplois pourraient être gelés pour 2012.
Dans le Premier et le Second degré avec la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005, l’autonomie a été accentuée. Mais l’application de cette loi est loin d’être complète.
Si, pour l’instant, l’UMP ne reprend qu’une partie des propositions de l’iFRAP, c’est une nouvelle étape vers la dislocation de l’Enseignement public et gratuit qui est programmée.
Diminuer les coûts et réduire le temps scolaire
L’UMP annonce la déscolarisation officielle de nombre d’enfants en maternelles, la transformation des classes de petits en « jardins d’éveil ». Tout ceci serait totalement à la charge des municipalités. Pour rentabiliser la scolarité obligatoire se terminant à la fin du socle commun, l’anglais serait commencé dès l’âge de trois ans et la présence des enfants inscrits serait rendue obligatoire.
La réorganisation de l’année scolaire proposée diminue de deux semaines les vacances scolaires et réduit les heures de cours disciplinaires. L’introduction dans le temps scolaire d’heures d’études obligatoires encadrées par des étudiants en master, la suppression des cours du samedi au lycée permettrait de réduire le nombre d’enseignants. La réorganisation des « rythmes scolaires » n’améliore donc en rien les conditions d’études.
En regroupant les écoles dans des Établissements publics d’Enseignement Primaire (EPEP), on réaliserait d’importantes économies d’échelle. Et l’UMP propose de poursuivre en ce sens en créant des établissements par niveau : un collège pour les élèves de 6ème-5ème d’une localité et un autre établissement pour les élèves de 4ème-3ème.
Développer l’apprentissage et la professionnalisation
L’UMP propose d’envoyer dès 14 ans les élèves en stages en entreprises en instituant des « classes métiers-études ». Ces classes seraient un bon moyen pour soumettre le collège à l’entreprise. Elle veut aussi rendre obligatoire l’alternance dans l’enseignement professionnel : on augmenterait ainsi de 26 000 par an le nombre de jeunes en alternance. C’est la liquidation totale de l’enseignement professionnel sous statut scolaire qui est ainsi programmée.
La loi du 29 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie[3] ouvre donc la voie à la déscolarisation d’une masse de jeunes. « L’orientation active » est un moyen de gestion des flux d’élèves et d’étudiants selon les besoins du patronat. Elle est prolongée par la loi Cherpion - 13 juillet 2011 - « pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels ». Les entreprises sont encouragées à prendre des apprentis : diminution des contraintes d’encadrement, création d’un service gratuit pour le développement de l’alternance, assouplissement des règles générales des contrats en alternance (intérim, activités saisonnières, groupement d’employeurs, "particuliers employeurs"…)… Et la part de la taxe d’apprentissage versée aux CFA s’accroîtrait au détriment de l’enseignement sous statut scolaire.
Pour inciter les universités à développer l’alternance et l’apprentissage, l’UMP propose une dotation ministérielle tenant compte des « efforts de professionnalisation ». Dans chaque académie, seraient créés une commission apprentissage pour développer des dispositifs de « formation tout au long de la vie », « une culture entrepreneuriale auprès des étudiants », un « pacte social entre universités et entreprises » reconnaissant le rôle essentiel des entreprises dans la formation.
Chaque université dotée d’un « bureau d’aide à l’insertion professionnelle » (BAIP) aurait un rôle très important dans la formation continue. Cela réduirait considérablement les coûts de formation continue des entreprises. Un référentiel national permettrait la reconnaissance des « expériences professionnelles » des salariés. L’UMP veut développer des « Diplômes universitaires » (DU), des « formations courtes permettant l’acquisition et le renouvellement de compétences ». Ces DU ne seraient pas des diplômes nationaux ; ils sanctionneraient une formation de un à trois mois, et seraient à usage temporaire. Il s’agit donc de multiplier les « diplômes » jetables.
Quelle différence entre « professionnalisation » et formation professionnelle ? Prenons l’exemple de l’enseignement. Les lauréats aux concours d’enseignement bénéficiaient en tant que fonctionnaires stagiaires d’un an (voire deux) de formation professionnelle initiale payée par l’État-employeur. La « mastérisation » détruit cet acquis statutaire : c’est l’étudiant en master (voire en licence) qui paye sa « formation » et cette « professionnalisation » le soumet à « une logique nouvelle d’acquisition d’un comportement normalisé » et de « compétences transversales ». Il s’agit de développer la flexibilité des travailleurs et de les contraindre à rester employables.
La « professionnalisation » détruit la formation disciplinaire universitaire, la formation professionnelle payée par l’employeur, et la qualification reconnue dans les accords collectifs.
Marche à la défonctionnarisation des enseignants…
L’UMP veut renforcer l’autonomie des établissements et permettre au chef d’établissement (principal de collège, proviseur de lycée, directeur d’école) de « recruter librement son équipe enseignante et d’administration en fonction du projet de son établissement ». Elle prévoit de créer un statut juridique pour les directeurs d’établissements publics d’enseignement primaire (EPEP).
Elle veut accroître la concurrence entre les écoles et les établissements en « rendant publiques les évaluations bilans de CE1, CM2, 5e, les résultats du DNB en fin de 3ème ». On passerait « un contrat d’objectif » avec le directeur d’école. On évaluerait le « chef d’établissement en fonction des résultats qu’il obtient » : un très bon moyen pour accroitre la pression sur les enseignants. Rappelons qu’aux États-Unis, des enseignants ont été licenciés car « l’objectif » n’était pas réalisé.
L’évaluation des enseignants par le chef d’établissement en lien avec l’IPR ne serait plus « quantitative » (liée au respect des programmes), mais « qualitative » : « mesurer la capacité de faire progresser les élèves », de conduire à leur « insertion professionnelle ». Des « exercices documentés » seraient imposés à tous les enseignants et, pour mettre en œuvre ce formatage pédagogique, un « chef de département » animerait l’équipe et participerait à l’évaluation. Le métier serait redéfini en intégrant l’accompagnement (tutorat, orientation, concertation) et les certifiés seraient remplacés par un nouveau corps. L’expérimentation des établissements ECLAIR est ouvertement présentée comme le point d’appui pour imposer à tous cette dérèglementation.
… et à la destruction de l’enseignement public, gratuit
Avec l’autonomie des établissements et l’évaluation des compétences, le travail devrait être organisé en groupes de compétences. L’objectif ne serait plus d’amener l’ensemble de la classe à un niveau donné par des programmes nationaux. L’individualisation (chaque élève à son rythme) ne peut qu’aboutir à la déscolarisation d’une masse de jeunes issus de milieux populaires. Ils seraient rapidement soumis au patronat dans le cadre de l’alternance et de l’apprentissage.
À l’université, le gouvernement se vante d’avoir augmenté le montant des bourses et d’avoir allongé à 10 mois le paiement. Mais la contrainte exercée par les nouveaux cursus, la diminution des vacances, la liquidation, depuis plusieurs années, du statut des MI-SE accroissent les difficultés, voire l’impossibilité pour nombre de jeunes de poursuivre des études universitaires.
La création, dans chaque académie, d’une « convention industrielle de formation et de recherche » (CIFRE) va soumettre plus étroitement encore le contenu et le financement des thèses aux besoins des entreprises. L’UMP veut multiplier, dans les universités, des « incubateurs de start-ups » orientant et soumettant la recherche aux besoins de Recherche et développement des entreprises.
Le droit aux études gratuites conduisant à des diplômes reconnus dans les statuts et les conventions collectives serait remplacé par un « compte individuel formation » : chaque salarié (ou chômeur), responsable de son « employabilité » devrait développer (ou renouveler) ses compétences selon les besoins des entreprises. L’individualisation de la « formation » (professionnalisation) accompagnerait la dislocation des accords collectifs et l’individualisation des salaires.
Pour le patronat, tous les acquis doivent disparaitre
Pour l’iFRAP, « la France est éreintée par les règlements, le Code du travail, le manque de dispositions favorables à l’entreprise, usée par un État, des collectivités et une Sécurité sociale qui refusent les réformes de fond ». Il faut en finir avec le SMIC, avec les concours débouchant sur un poste dans la Fonction Publique, aligner le régime de retraite et de congé maladie des fonctionnaires sur celui du privé, embaucher les fonctionnaires non régaliens sous statut de droit privé, augmenter de 2 heures le service hebdomadaire des enseignants afin d’économiser plus de 44 000 postes…
Un autre think-tank, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), propose de créer, dans chaque académie devenue autonome, deux systèmes d’enseignement. À côté du collège, l’ « école fondamentale » accueillerait ceux dont le niveau est jugé insuffisant. Un enseignement minimum (français, math, EPS) ouvrirait sur l’apprentissage. Dans l’autre parcours, les jeunes seraient soumis à la sélection permanente : orientation sélective, inscription en fac sur dossier, contrat de formation entre l’étudiant et l’université… Quant aux enseignants recrutés sur contrat par les chefs d’établissement, ils seraient présents toute la semaine et leur service intègrerait nombre de taches administratives, les relations avec les familles, avec les entreprises…
Le maintien de l’enseignement public et des diplômes nationaux, la diffusion d’une culture de haut niveau, la menace politique que représentent des millions d’étudiants et d’enseignants par leurs traditions d’organisation sont, pour la bourgeoisie, insupportables. Pour faire baisser la valeur de la force de travail, elle veut liquider la valeur nationale des diplômes, remplacer les grilles nationales de qualifications par les compétences individuelles afin d’accroître la concurrence entre les salariés, rendre les études payantes, faire supporter aux futurs salariés le coût de leur formation en les rendant responsables de leur « employabilité ». Le retour, dans le programme UMP, du service civique obligatoire va dans le même sens.
À l’évidence, les intérêts de la jeunesse, des salariés sont totalement contradictoire à ceux des classes possédantes. La défense du droit aux études de son choix, du statut et des acquis collectifs des salariés passe par le combat pour l’abrogation des lois telles la LRU, le LMD, des lois de 2005 (réforme du premier et second degré), de 2009 et 2011 sur la « formation tout au long de la vie ».