Étudier aux États-Unis
En France, les différentes « réformes » de structures engagées à l’université conduisent à augmenter le coût des études. À terme, c’est la privatisation de pans entiers du système universitaire qui est programmée. Et, le patronat français prône sans cesse le « modèle » américains…
Emmanuel, étudiant français en psychologie, s’est rendu cet été dans une université américaine. Quelques impressions recueillies sur le vif.
Emmanuel : Je suis allé à Indianapolis. Cette ville de 800 000 habitants fait partie d’une agglomération un peu plus importante que la communauté urbaine de Lyon. Elle se trouve à 250 km des Grands Lacs et de Chicago. Mais depuis l’aéroport, il faut environ 3 h 30 de route. Dans l’État d’Indiana, il y a très peu de transports en commun (un bus par jour).
Je suis aussi allé à Lafayette, en LouisianE : une agglomération d’environ 250 000 habitants à 200 km de La Nouvelle-Orléans. J’ai vécu chez des étudiants boursiers qui viennent du Bénin et du Togo. L’un de mes cousins est à l’université de Purdue, près de Lafayette. D’après lui, c’est une des dix meilleures universités des États-Unis. Cette université publique a formé des astronautes comme Niel Armstrong et des PDG de grandes entreprises.
E : C’est un autre univers culturel : la manière de penser, d’envisager la vie, la politique, n’ont rien à voir avec ce que l’on connaît en Europe.
La scolarité coûte environ 15 000 dollars par an. Les étudiants que j’ai côtoyés ont obtenu une bourse et ils travaillent en complément. Ils ont un emploi qui les occupe de 35 à 40 heures par semaine.
Arrivent-ils à payer leurs études ? Oui et non.
En effet, les dépenses sont gigantesques par rapport au salaire ; ils gagnent un salaire minimum, mais leurs dépenses sont très fortes. Ils ont des crédits pour tout : pour les voitures, pour l’immobilier, l’abonnement Internet…
Le plus étonnant, c’est de dépenser sans limite. Ils n’ont pas de cadre financier. On te fait miroiter que tu peux avoir la vie d’un millionnaire même en étant smicard. On cultive le mythe du « rêve américain ». Certains de leurs amis conduisent des véhicules Fenwick dans les usines et ont trois voitures et des maisons avec piscines.
Mais tout cela a un prix. Tu peux tout acheter, mais si tu passe 50 heures de la semaine à travailler, tu n’as même pas le temps de profiter de tout ce tu as acheté.
Le campus de Purdue est gigantesque avec Cybercafé, d’immenses bibliothèques, des musées, des associations d’anciens élèves membres d’équipes de sport…
C’est un autre univers : dans la boutique de l’université sont vendus des objets des plus grandes marques (casquettes, cravates, jeux Monopoly…). C’est un espace totalement privé : cela me fait penser à un club de foot, c’est vraiment un business.
E : Mon cousin est aux États-Unis depuis 10 ans ; il a obtenu la nationalité américaine. Un autre est là depuis 4 ou 5 ans ; sa demande est en cours et il a des chances d’obtenir la nationalité américaine.
Les États-Unis ont des programmes avec certains pays d’Afrique : ils cherchent à importer des « cerveaux ». Les procédures sont, pour nous, étonnantes. Il existe des « loteries de cartes vertes » (les cartes de séjours). Ces loteries sont organisées par l’État américain : tu joues à la loterie sur Internet, et si tu gagnes, tu as une sorte de visa pour aller aux États-Unis. Il y a ainsi des Togolais à Chicago, à Cincinnati, à Colombus. Ces loteries sont très développées avec le Togo.
E : Les droits civiques sont acquis ; mais, on sent que les Noirs, en pratique, n’ont pas les mêmes droits.
Apparemment dans ce pays où, il y a 50 ans la ségrégation était légale, la société semble égalitaire. Le racisme n’est pas tellement entre les Blancs et les Afro-Américains, mais entre les Afro-américain et les Africains qui migrent aux États-Unis.
Les immigrés africains traitent les Afro-Américains de paresseux ; ils les appellent les Noirs. Les Noirs immigrés considèrent que les Afro-américains donnent une mauvaise image des Noirs. Dans les bibliothèques, on trouve des Africains, des Afro-Américains… Mais, il y a un clivage entre eux et peu de solidarité.
Il y a une différence entre le rapport des Afro-Américains à leurs Afrique ancestrale et leurs contacts avec les Africains immigrés d’aujourd’hui. Dans l’absolu, les Afro-Américains se revendiquent avant tout comme Américains. Le contact qu’ils ont avec les Africains immigrés n’est pas révélateur de leurs rapports avec leurs origines.
En France, les jeunes dont les familles sont issues de l’immigration se considèrent tous comme Français. On a tendance à oublier souvent ses origines. Aux États-Unis, on se revendique Américains ; mais on est Hispano-Américain, Afro-Américain ou Américain d’origine irlandaise…
Les revendications communautaires sont liées au fractionnement en ghettos (ces regroupements, en partie spontanés, sont souvent liés aux conditions sociales).
E : On trouve du travail, tout dépend dans quelle filièrE : un Noir trouve assez facilement un emploi d’ouvrier. Chicago est quasi peuplée par des Afro-Américains ; mais chez eux, le chômage est deux à trois fois plus important que chez les Blancs. C’est une question de formation. Quand il faut payer des sommes faramineuses pour aller à l’université, on comprend que nombre de jeunes Afro-Américains sont éliminés.
L’État réserve des jobs pour « les natifs » (les indiens), en « réparation » de ce qu’ils ont subi. Mais cette population a subi un quasi-génocide. Cela ne demande pas un gros investissement à l’État d’accorder des aides au logement. C’est peut-être un moyen de se donner bonne conscience vis-à-vis de ce quasi-génocide.
E : On vit dans un autre univers que le nôtrE : on ne se dit pas : « je dépense et quand je veux, je me calme ». On est en permanence incité, voir « obligé » de consommer.
Le plus gros des achats se fait par carte. Mes cousions ont, dans leur portefeuille, une quarantaine de cartes : cartes de crédit, cartes des magasins qui toutes prélèvent chaque mois sur le compte en banque.
Le salaire que tu gagnes, tu le dépenses. En réalité, tu dépenses plus. Et le salaire n’est pas tant utilisé pour payer la marchandise achetée que pour montrer à l’acheteur que tu pourras rembourser ; c’est un gage pour emprunter.
Les concessionnaires de voitures (4x4, GMC, grosses berlines, Cadillac…) sont légion. Non seulement ils roulent en 4x4, mais ils ne vendent que cela. Ils fleurissent comme des boulangeries, car il faut qu’ils écoulent leurs stocks. Il y a surproduction de véhicules automobiles. Alors, pour les écouler, on ne demande aucun critèrE : si l’acheteur est titulaire d’un contrat de travail, on lui accorde un crédit. Et ce, quel que soit ce contrat. Si c’est un précaire, il devra ensuite se débrouille pour rembourser.
Aussi, les personnes que j’ai côtoyées sont-elles toujours en train de rembourser des crédits. Dans un magasin pour l’achat de produits de consommation courante, on peut payer des bouteilles à crédit.
Le crédit, c’est le mode de fonctionnement du capitalisme aux États-Unis. C’est un moyen de faire face à la surproduction. Et pour les étudiants et les salariés, c’est le moyen de vivre.
Mon cousin d’Indianapolis me disait : « ce pays a été bâti sur l’esclavage ; même s’il est maintenant aboli, on est toujours esclave ». Dans l’entreprise, l’homme est réduit à être une machine. À mi-temps, je dois travailler 30 à 40 heures. Si je ne suis pas d’accord, le patron prend quelqu’un d’autre. Et, on me le fait sentir : « Toi ou un autre, c’est pareil ». Car il n’y a aucune justification à fournir pour licencier. La sécurité du travail est absente.
Commentaire de L’insurgé
On mesure bien que dans le système universitaire américain, il y a des éléments irréductibles à l’histoire des États-Unis qui ne peuvent guère être repris ailleurs. Mais il en est d’autres qui constituent un « modèle » manifeste pour la politique suivie jusqu’à aujourd’hui par Pécresse puis Vautier et qui vise, en particulier, à mettre en concurrence les universités.
Une enquête réalisée en 2009-2010 par une équipe pluridisciplinaire rassemblant les assistantes sociales du Crous, des personnels du service de la vie étudiante, du Service commun universitaire d’information et d’orientation (Scuio), de la Division Statistiques, Indicateurs, Gestion des Moyens, Analyses (SIGMA), du service communication et des étudiants, a effectué une étude spécifique sur la précarité chez les étudiants de l’université Lyon 2.
Quelques données :
Sur plus de 23 000 étudiants, 25% ont participé à l’enquête.
35% des étudiants n’ont aucune aide familiale et 40 % des étudiants effectuent une activité rémunérée : 19,2 % travaillent de 5 à 10 heures par semaine ; 42,2 % travaillent de10 à 20 heures et 21,5 % de 20 à 30 heures par semaine.
35% travaillent en CDI et 32,6 % en CDD.
15 % des étudiants ne prennent pas de repas à midi ; 2,5 % ne mangent pas le soir et 34 % d’entre-eux indiquent qu’ils sautent un repas pour des raisons financières. 57,6% n’ont pas de mutuelle car ils estiment ne pas avoir les moyens de la payer.
Nombre d’étudiants français sont durement touchés par les attaques contre le droit aux études.