Édito : Nouvelles tempêtes en perspective... Pour l’échelle mobile des salaires, pour l’interdiction des licenciements : partage du travail sans flexibilité, ni diminution de salaires
Un nouveau traité européen qui modifie les équilibres entre les impérialismes
Début décembre, au sein de l’Union européenne, les rapports entre les États se sont brutalement modifiés. Face à la crise financière, des décisions importantes ont été prises, correspondant pour l’essentiel aux exigences de la bourgeoisie allemande. Cela s’est joué en deux temps.
Angela Merkel a d’abord rejeté les projets de Sarkozy, qui voulait que la BCE puisse financer, directement ou indirectement, les déficits budgétaires. Finalement, après s’être beaucoup agité, Sarkozy a dû se soumettre. Le 5 décembre, il acceptait quasi tout ce qu’on lui demandait.
Ses exigences, la chancelière allemande les a résumées en une formule : « une union budgétaire » jugée désormais « nécessaire ». Certes, les parlements nationaux conserveront leurs prérogatives, mais ils agiront dans le cadre de « règles strictes communes, au moins dans la zone euro ».
Le second temps s’est joué lors du sommet européen du 9 décembre. Le gouvernement allemand s’est appuyé sur l’accord conclu avec Sarkozy pour faire entériner ce projet aux 27 Etats de l’union européenne ou, à défaut, aux 17 pays de la zone euro. La difficulté majeure était que tout nouveau traité imposait l’unanimité. Or, la Grande Bretagne revendiquait déjà de nouvelles dérogations destinées à préserver les intérêts de la City.
Mais à l’aube du 10 décembre, les résultats de ce « sommet » allaient au-delà de ce qu’espérait le gouvernement allemand. Les exigences de Cameron, le chef du gouvernement anglais, avaient été sèchement rejetées. Et son opposition avait contournée par un accord des 17 dirigeants de la zone euro, dont ne fait pas partie la Grande Bretagne. Puis, en quelques heures, 9 autres pays s’étaient ralliés à ce projet d’accord, abandonnant la Grande Bretagne à son isolement.
Vers une « union budgétaire »
Certes, il y a bien des points à préciser d’ici mars dans ce projet de traité intergouvernemental. Et il y aura encore bien des rebondissements, du fait notamment que se poursuit la crise économique et financière. Mais d’ores et déjà, les modifications prévues sont importantes.
Les budgets nationaux seront désormais encadrés par une règle d’or « renforcée et harmonisée ». Cette règle interdira tout déficit supérieur à 3 %, et contraindra à revenir à l’équilibre budgétaire puis à s’engager dans la réduction de la dette. Cette règle devrait être inscrite dans chaque constitution, et la Commission européenne surveillerait en amont les budgets. Le non-respect de cette règle entraînerait des sanctions que seule une majorité qualifiée de 85 % pourrait suspendre.
Par ailleurs, l’indépendance de la banque centrale est réaffirmée, alors que Sarkozy demandait que la BCE puisse, comme la banque fédérale américaine, acheter une masse d’obligations d’État dès leur émission. La BCE ne sera pas « prêteur en dernier ressort », même par l’intermédiaire du Fond européen de soutien, le FESF. (Rappelons que la BCE assure déjà un financement quasi illimité des banques, et a acheté 207 milliards d’euros de titres de dette sur le marché secondaire).
Le patronat français a fait son choix
Ce qu’espérait Sarkozy, c’est que le capitalisme français puisse demeurer un acteur majeur de la zone euro sans que soit écornée la souveraineté nationale. Cette question avait déjà été explosive en 1996-97 quand la bourgeoisie française, divisée, avait accepté les garanties dictées par l’Allemagne, que Chirac et Jospin avaient alors ratifiées à Amsterdam, au désespoir des gaullistes nostalgiques de la « grandeur » perdue de la France. C’est encore sur cette fibre chauvine que certains, minoritaires dans la bourgeoise ou au sein du PS, jouent en s’indignant de ce nouveau « diktat » allemand.
Mais les chefs du patronat français voulaient un accord. Dès la fin de l’été, Laurence Parisot avait très clairement fixé ses objectifs lors de l’université du Medef : « Tout le monde n’a qu’une espérance : aller plus loin dans la construction européenne. Il y a la volonté de s’engager vers un fédéralisme européen ». Sarkozy n’avait donc guère le choix.
Une situation inextricable
Pour toutes les bourgeoisies européennes, à des degrés divers, la situation est inextricable. L’Union européenne n’est ni une fédération ni une confédération, mais une collection disparate d’États nationaux liés par des traités. La mise en place de l’euro fut, pour la majorité de ces bourgeoisies, une nécessité, notamment face au désordre monétaire international qui prévalait dans les années 70 et 80. Mais les contraintes qui en résultent écornent leur souveraineté. Et revenir en arrière serait pour elles catastrophique. La nécessité de choisir peut être alors facteur de crise. Ainsi, en Italie, la chute de Berlusconi est directement liée à cette question. (cf. pages 4 à 12 du présent bulletin).
Seul le gouvernement anglais, soucieux de préserver les intérêts de la City, a rejeté tout contrôle sur ses finances. Mais cela exacerbe ses divisions du gouvernement, dont une aile « pro européenne » s’inquiète de voir la place financière de Londres marginalisée.
Une Europe à trois vitesses ?
L’Europe qui s’esquisse est tout, sauf unie. Au sein de la zone euro, plusieurs pays (Grèce, Portugal…) subissent de plein fouet la crise économique et financière, et doivent se plier aux exigences des bourgeoisies dominantes, dont la France. Hors de cette zone, plusieurs gouvernements veulent rallier l’euro, tandis que d’autres ne peuvent respecter les contraintes qui leur sont imposées. Sans parler de la Grande Bretagne qui vient de faire un pas en arrière…
Une Union au service du capitalisme
Pour les travailleurs, il n’y a rien à espérer de cette union capitaliste. Et le projet de traité qui vient d’être adopté signifie, pour les travailleurs, une nouvelle vague d’attaques d’une extrême brutalité.
Il y a donc nécessité de combattre ce projet. Encore faut-il que les partis qui prétendent défendre les intérêts des travailleurs, et les dirigeants des syndicats ouvriers, ne se soumettent pas à ce projet, ou ne le critiquent qu’en formulant de fausses alternatives.
Ainsi, François Hollande annonce qu’il renégociera de ce traité, mais se garde bien d’appeler aujourd’hui à mobiliser contre ce projet. Et il ne remet en cause ni l’euro, ni le paiement de la dette, ni la propriété privée des banques… De même le PCF, ( Humanité du 12 décembre) prétend que « l’alternative existante », c’est que le Fonds européen de soutien puisse emprunter à la BCE, ce qui est exactement ce que proposait Sarkozy. Autrement dit, on oppose une solution « bourgeoise » à une autre solution « bourgeoise », le projet initial de Sarkozy à celui finalement adopté…
Un programme ouvrier
C’est donc par son mouvement spontané, en construisant de nouveaux partis, en se réappropriant les syndicats, en mettant en avant leur propre programme, que les travailleurs pourront mettre à bas ces projets. Cela exige en particulier de ne pas rester enfermé dans de fausses alternatives, dans des choix qui ne visent qu’à préserver le capitalisme. Il n’y a pas, par exemple, à promouvoir « un peu » d’inflation ou bien la stabilité des prix mais à revendiquer l’indexation des salaires sur les prix, l’échelle mobile des salaires préservant au moins le pouvoir d’achat, et à combattre pour l’annulation de la dette que les travailleurs n’ont pas à payer.
Il n’y a pas à prôner le protectionnisme ou le marché ouvert, mais à interdire les licenciements.
Il n’y a pas à choisir entre défense des États nationaux, ou promotion d’une hypothétique fédération européenne des États capitalistes, mais à fixer une perspective : une fédération des États socialistes d’Europe, ce qui passe par l’expropriation des banques et des grandes entreprises, la destruction des États bourgeois au profit d’états « ouvriers », construits et contrôlés par l’ensemble des travailleurs.
C’est sur cette base que l’on peut combattre ce nouveau traité européen dans une situation où, la crise s’exacerbant, se préparent de nouveaux développements majeurs de la lutte des classes.