, Bulletin n°5
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Espagne

Objectif : licenciements en Espagne !

Le groupe socialiste au Congrès des députés, bien décidé à fâcher patrons et marchés, a voté, après plusieurs mois d’une lutte acharnée, un nouveau projet de loi de réforme du droit du travail.

Celui-ci autorise notamment une entreprise à recourir à des licenciements objectifs si elle prouve "l’existence d’une situation négative".

Plus précisément, cette loi inclut un amendement présenté par le Parti Nationaliste Basque (PNV) qui stipule que l’on peut invoquer des raisons économiques, lorsque « les résultats de l’entreprise montrent une situation économique négative, l’existence de pertes actuelles ou prévisibles, ou la baisse persistante des recettes qui pourraient affecter sa viabilité ou sa capacité à maintenir les niveaux d’emploi  ».

On le voit, le projet initial du PSOE était bien plus dur.

Ainsi, on a explicitement légalisé le licenciement préventif.

Licencier pour « préserver ou favoriser la position concurrentielle sur le marché ».
Or, cet amendement est précédé d’une "jurisprudence" et d’antécédents qui en attestent le danger pour les salariés. Par exemple, en 2002, Telefónica avait déposé auprès de la Securities & Exchange Commission (SEC), qui est l’organisme de réglementation des marchés aux États-Unis, l’équivalent de notre Autorité des Marchés Financiers (AMF), des comptes qui présentaient des pertes de 7,2 milliards d’euros alors que quelques mois auparavant, elle annonçait au même organisme de contrôle et pour le même exercice comptable un bénéfice de... 2,1 milliards (El Pais, Les règles comptables des États-Unis exigent à Telefónica à accepter des pertes à la SEC ). En fait, ces deux chiffres répondent à des normes différentes dans les deux pays. Le porte-parole de l’entreprise avait indiqué que, « bien que la différence se reflète dans les résultats nets, cela n’implique pas la perte de fonds parce que c’est la même photo de la facture de téléphone, mais fait avec d’autres règles ».

Rien de plus simple et de plus franc.

Il apparaît clairement que les comptables d’une grande entreprise peuvent facilement annoncer des profits ou des pertes au gré des nécessités des membres dirigeants.

La loi ajoute que « à cette fin, l’entreprise devra justifier ses résultats et démontrer que ceux-ci prouvent le caractère raisonnable de la décision de séparation pour préserver ou favoriser sa position concurrentielle sur le marché. »

Mais l’administration n’aura aucun moyen de décision et de contrôle !

Quel courage !

Les groupes parlementaires n’ont présenté que des amendements, et seul le groupe socialiste a voté « oui » au projet dans son ensemble.

Incroyable : le député Emilio Olabarría (PNV) a admit qu’il ne savait pas si cette réforme serait « bonne, mauvaise ou moyenne » par rapport à la législation en vigueur, mais il a remercié le soutien du PSOE sur ses propositions. Rappelons que c’est lui qui a défendu l’amendement cité plus haut et ceci avec détermination et jusqu’au dernier souffle !

Les seules critiques des différents groupes ont porté sur l’empressement du PSOE de faire adopter une telle avancée sociale en court-circuitant les débats sur les... amendements.

Enfin, les nationalistes basques et catalans se sont fermement abstenus. Faut-il préciser qui dirige ces deux régions autonomes ? Le parti socialiste bien sûr. Et quelles contreparties politiques seront exigées ? À voir…

Par ailleurs, l’indemnisation de ces licenciements sera supportée en grande partie par l’État. L’Administration ne pourra plus contrôler la décision du patron, tant sur sa légitimité et les préavis que sur le nombre des licenciements. Ceux-ci devront être seulement … raisonnables.

De plus, le salarié ne pourra réclamer une réintégration ultérieure.

D’après une étude du syndicat CCOO, et pour ne donner qu’un exemple très parlant :

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(Photo NPA)


Un salarié avec 20 ans d’ancienneté, licencié (avec ou sans préavis) bénéficiait de 45 jours par an d’indemnités de licenciement (avec un plafond de 42 mensualités) plus le maintien du salaire durant la procédure de licenciement. Dans ce cas 34 mois d’indemnités à la charge de l’entreprise.

Aujourd’hui, grâce à la « contre-réforme », c’est un plafond de 12 mois d’indemnités maximum dans tous les cas, la suppression du dit salaire couvrant la procédure du licenciement (entre 3 et 5 mois). Sur ces douze mois, au lieu de 45, l’entreprise ne donnera que 7,2 mois le reste restant à la charge de l’État.

C’est donc, dans ce cas spécifique, une perte sèche de 22 mois d’indemnités, soit 65% pour le salarié ; et une baisse de 79% des coûts de licenciements pour l’entreprise…Et logiquement autant d’argent payé par la collectivité pour licencier. Rappelons que les Espagnols auront la chance de pouvoir, pardon, de devoir travailler jusqu’à 67 ans !

Pour la défense des acquis sociaux : combattre classe contre classe
En Espagne, comme en France, la défense des acquis ouvriers (emplois, retraites, assurance chômage, salaires…) n’est pas compatible avec la préservation du capitalisme. Face à la crise créée, par lui-même le patronat impose aux gouvernements de défendre son taux de profit ; ce qui implique de reprendre tous les acquis arrachés lors des différentes luttes ouvrières.

Des gouvernements au service du capital, comme celui de Zapatero, élaborent des « contre-réformes » au nom de la défense de « l’intérêt général ». Alors que plus de 14% des Espagnols de 15 à 24 ans sont sans emploi et ne suivent aucunes études (d’après la Commission européenne) et que 40% des jeunes Espagnols sont encore au chômage ! Enfin, 60% des travailleurs ont des contrats à temps partiel et ont très peu de marge de manœuvre pour lutter contre ses régressions sociales inacceptables.

D’après les syndicats, le 29 septembre, la grève générale contre l’ensemble de la réforme du code du travail a réuni 70% des travailleurs, un pourcentage équivalent à 10 millions de ceux-ci (sans oublier que le service minimum est obligatoire). Des violences policières ont été constatées dans plusieurs villes.

El Periódico (Barcelone) parle d’une grève générale fortement suivie dans toute l’Espagne, avec des arrêts dans la plupart des grandes entreprises et services publics, et quatre blessés, selon les syndicats. Même ABC (Le Figaro espagnol) avoue : « l’industrie est arrêtée, les services travaillent et les villes bougent ».

Après ce succès indéniable, d’un côté M. Toxo (CCOO) affirme  : « Nous n’irons pas à La Moncloa comme si rien ne s’était passé », de l’autre son collègue de l’UGT, M. Méndez précise que son « objectif est de corriger la réforme ». (La Moncloa est la résidence du Premier ministre, le siège du gouvernement, et le lieu de négociation entre les directions syndicales et le gouvernement).

Ce n’est pas gagné…

En Espagne, comme en France et en Europe, s’exprime la recherche d’un combat d’ensemble. Cela implique de lutter pour l’unité des organisations issues du mouvement ouvrier, pour la rupture avec la bourgeoisie. Seul un combat classe contre classe peut imposer la préservation des acquis sociaux et le recul de la précarité.

 
 
Mis à jour le
14
mars
2023