Sécurité sociale et retraites : des conquètes révolutionnaires
Le Medef et l’ensemble des patrons ne cessent d’exiger la baisse du coût du travail. Mettre en cause les fondements mêmes des retraites (et de la sécurité sociale) est aujourd’hui le moyen essentiel d’y parvenir.
Les systèmes de retraites (retraites par répartition pour les salariés du privé, code des pensions pour la Fonction publique…) ont été arrachés lors de la vague révolutionnaire à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale. Il a ainsi fallu à la classe ouvrière un siècle et demi de combat pour arracher ce système de protection sociale fondé sur la solidarité ouvrière. On ne peut mesurer les enjeux d’aujourd’hui, ni mener un combat efficace sans rappeler ce qui fonde ces système.
L’instauration de la sécurité sociale est liée à la construction des organisations ouvrières. Ainsi, faut-il rappeler que dans sa construction et dans son combat, l’Association internationale des travailleurs (AIT, proclamée en 1864) associait complètement les questions « politiques » et les questions « sociales », « économiques » (salaires, horaires de travail…).
En 1910, la CGT engagea une puissante mobilisation contre la loi instaurant les « retraites ouvrières et paysannes » : ce système par capitalisation était qualifié « d’escroquerie ». La campagne pour le refus de ces prélèvements ouvriers, interdit, de fait, l’application de la loi.
La vague révolutionnaire de 1944 posa le problème de la constitution d’un gouvernement des organisations ouvrières appuyé sur les conseils d’usines et les milices ouvrières. Mais, comme en 1936, les dirigeants des organisations ouvrières (partis et syndicats) agirent pour endiguer la vague révolutionnaire [1]. La bourgeoisie dut néanmoins faire d’immenses concessions (voilà pourquoi Kessler parle d’un « compromis forgé à une période très chaude de notre histoire » [2]). Parmi ces concessions, on trouve la sécurité sociale, le statut des fonctionnaires…Ainsi la sécu (dont la retraite est partie intégrante) est une conquête révolutionnaire. Non seulement elle limite l’exploitation, mais elle contribue à l’homogénéisation de la classe ouvrière comme classe indépendante face à la bourgeoisie et son État. Le statut de la Fonction publique incluant le code des pensions a été arraché dans le même mouvement. La défense des retraites, de la sécurité sociale et la défense des organisations ouvrières sont un même combat pour empêcher le retour à la situation d’atomisation des salariés (comme c’était le cas au XIXe siècle).
Le Programme National de la Résistance (CNR) est il à l’origine de la sécurité sociale ? Dans ce programme adopté à Londres, le 15 mars 1944, on ne trouve qu’une vague affirmation de la « nécessité d’un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
En fait, en 1943, la CGT « unifiée » avait élaboré un plan d’ensemble couvrant tous les risques, et instaurant la gratuité des soins, la gestion de la sécu par les seuls assurés. Fin 1943, ce plan fut refusé par l’Assemblée consultative d’Alger ; à l’automne 1944, de Gaulle s’appuya sur le programme du CNR (auquel participaient un représentant du PCF, de la SFIO, de la CGT…) et adopté entre temps pour refuser un nouveau plan proposé par la CGT.
L’ordonnance du 4 octobre 1945 prévoyait un seul organisme, une seule caisse gérant tous les risques, gérée par les syndicats de travailleurs, le financement étant assuré par des cotisations versées proportionnelles aux salaires. Qu’elles soient « patronales » ou « salariales », ces cotisations sociales diffèrent de l’impôt : elles représentent une fraction « différée » du salaire (environ 45% du salaire total, aujourd’hui). La masse globale appartient aux salariés ; c’est ce qui fonde leur droit (qui devrait être imprescriptible) à la gestion des caisses.
Dès 1945, la bourgeoisie a cherché à limiter la sécu : le MRP obtenait, par exemple, l’indépendance des régimes particuliers (avec la caution du PCF et de la SFIO). Elle n’a cessé de chercher à reprendre le « salaire différé » qui finance la Sécurité sociale.
En réduisant aujourd’hui la cotisation patronale (exonérations), on ampute le salaire différé ; on fait baisser la valeur de la force de travail : c’est donc une amputation du salaire. Ces « exonérations » sont « compensées » (en partie seulement) par le budget de l’État, donc par l’impôt. Ce faisant, on dénature le système qui est alors financé par les taxes et impôt payés par les salariés.
Quant aux pensions des fonctionnaires, elles font partie, de fait, de la masse salariale inscrite au budget de l’État. Selon le statut, lorsque l’État embauche un fonctionnaire, il s’engage à lui verser un traitement durant toute sa carrière et une pension lorsqu’il atteint l’âge de la retraite. Il n’y a pas de « cotisation ». Depuis quelques années, le bulletin de salaire fait apparaître des « cotisations », « contributions », « charges ». Ces retenues ne sont qu’un jeu d’écriture ; et l’objectif est d’accréditer l’idée qu’il y aurait des « cotisations sociales » afin de préparer le terrain pour liquider le code des pensions et créer une caisse de retraites.
L’offensive contre les retraites a pour objectif fondamental d’opérer une baisse importante de la valeur de la force de travail : en reprenant tout ou partie du salaire différé les patrons augmentent la plus-value.
Le « document d’orientation sur la réforme des retraites » adressé, le 16 mai 2010, aux dirigeants syndicaux par le gouvernement, affirme dès l’introduction, qu’il s’agit d’agir « sur les causes structurelles ». Comme il affirme en même temps qu’il n’est pas question d’augmenter les cotisations patronales, ni même de faire cesser les exonérations (cause essentielle des « déficits »), l’objectif est donc de casser la structure même du système de retraites des salariés du privé fondé sur la répartition d’un salaire différé/mutualisé.
L’objectif est aussi de casser le code des pensions, partie intégrante du statut (et cela, au nom de « l’équité », du « rapprochement » entre le public et le privé). Or le statut n’est pas un privilège, son maintien est un point d’appui pour la défense des acquis de travailleurs du privé.
Ce que le gouvernement et le Medef veulent imposer, c’est un système où, comme en Grande Bretagne, une partie de la retraite est financée par l’impôt et l’autre par la rente (les fonds de pensions). Pour y parvenir, il faut diminuer de façon importante le montant des retraites par répartition et dénaturer plus encore le système actuel.
25 mai 2010