Retraites : le « dialogue social », boîte à outils de la « réforme »
La bourgeoisie et les « experts » à son service ont une claire conscience que les retraites et la Sécurité sociale sont une conquête révolutionnaire et matérialisent un certain rapport de force entre les deux classes fondamentales. Sarkozy n’a oublié ni la mobilisation de 1995, ni celle de 2003, ni celle des cheminots en 2007. Tout est fait pour éviter une mobilisation centralisée en défense des retraites et du code des pensions : le « dialogue social » a cette fonction.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a rendu en janvier son 7ème rapport. Tous se sont mis d’accord sur un « diagnostic partagé ». Cet organisme, mis en place en 2000 sous le gouvernement Jospin, est un lieu permanent de concertation, associant dirigeants syndicaux, parlementaires et représentants du patronat et de l’État. Ce rapport a publié un diagnostic « alarmiste » : il faudrait trouver 70 milliards d’euros en 2030 pour financer l’ensemble des régimes (contre un peu plus de 30 milliards aujourd’hui).
Les dirigeants, tels Thibault s’offusquent des « manipulations grossières » des chiffres du COR ; mais ils ajoutent : « le rapport du COR est utile. »
Et c’est sur la base de ce « consensus », que chacun fait ses « propositions ». Tous les appareils syndicaux (et aussi le PS, le PCF, le PG) affirment vouloir défendre la retraite à 60 ans. Mais tous se situent sur le terrain du gouvernement, du consensus selon lequel une nouvelle « réforme » serait nécessaire. Tous reprennent à leur compte les besoins du capital. Il en est ainsi des propositions de « nouveaux financements » (au nom de « taxer les riches », « taxer le capital »). Jusqu’à Copernic-Attac qui offre ses services de « spécialiste » en économie et propose « une mobilisation citoyenne », pour un nouveau « partage des richesses » tout en évacuant les véritables revendications.
Thibault, Mailly proposent de taxer davantage les revenus des « capitaux », d’élargir l’assiette à l’ensemble de la « valeur ajoutée », voire d’élargir la CSG. Qu’est-ce que cela signifie ?
La CSG, comme le RDS, est un impôt. Ils sont, avec les « exonérations de cotisations », un puissant facteur de fiscalisation et de dénaturation du système par répartition d’un salaire différé/mutualisé.
Le salaire différé est une cotisation calculée sur la base du salaire. Le salaire constitue une assiette de cotisations stable et vérifiable. En défendant leur salaire direct, les salariés défendent automatiquement le salaire différé (et les caisses de retraites et de sécurité sociale).
Quand Thibault, Mailly parlent de taxer une fraction du capital pour payer les retraites, ils proposent en fait d’élargir l’assiette à la valeur ajoutée, ce qui dénature le système. En effet, la valeur ajoutée est une notion comptable utilisée par les entreprises. Elle se calcule en faisant l’opération suivante : Valeur des biens et services produits − Valeur des consommations intermédiaires + Marge commerciale entre ventes et achats de marchandises. En outre, il existe de multiples artifices comptables pour faire varier en toute légalité la valeur ajoutée d’une entreprise (une multinationale peut augmenter la valeur des produits semi-finis fabriqués dans un autre pays pour diminuer la valeur ajoutée dégagée en France).
Comment les salariés peuvent-il contrôler cette nouvelle taxe, sachant que c’est le plan comptable (et ses modifications) qui détermine le montant de la valeur ajoutée ?
En réalité, la seule façon de « faire payer le capital », c’est de combattre en défense des salaires, pour l’arrêt immédiat des exonérations de cotisation, pour la restitution des exonérations et des arriérés de cotisation ; pour l’abrogation de toutes les mesures qui ont mis en cause le système.
Thibault, de plus, propose de moduler les cotisations patronales (les cotisations des patrons qui emploient beaucoup de salariés seraient moins fortes). Ainsi, une partie du salaire différé appartenant aux travailleurs serait transformée en plus-value pour les patrons. Et, ce faisant Thibault, accrédite le discours patronal selon lequel le coût du travail est trop cher. !
En s’associant à l’élaboration et à la mise en œuvre de la « réforme », les appareils désarment les mobilisations. Et ces « contre propositions » exprimées dans la « concertation » avec le gouvernement ne font que légitimer les plans du gouvernement.
Après que le gouvernement ait adressé son « document d’orientation sur la réforme des retraites » aux dirigeants syndicaux, le 16 mai, les députés de l’UMP ont multiplié les déclarations, précisant le contenu du projet du gouvernement.
Le document d’orientation évoque la nécessité de « compléter les retraites par le recours à l’épargne retraite ». Ce qui montre bien que c’est une diminution du niveau des pensions qu’on veut programmer. Et les syndicats (tels la FSU) ont indiqué que dans les commissions, on a discuté du « cumul emploi/retraite ». Repousser l’âge légal au-delà de 60 ans et augmenter le nombre d’annuités pour une retraite à taux plein s’accompagne inéluctablement d’une nouvelle baisse des pensions. On a aussi « discuté » de la « seconde carrière » dans la Fonction publique ; d’un « plan santé » pour faire travailler plus et plus longtemps les salariés âgés (ils pourront assurer du tutorat afin de développer l’apprentissage, bel exemple de « solidarité intergénérationnelle » au compte du patronat).
Pour diminuer la masse salariale qui pèse sur le budget de l’État, le gouvernement ne remplace qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Il veut, de plus, non seulement bloquer les salaires mais, sous couvert d’équité, augmenter les « cotisations » perçues sur le traitement. C’est un moyen de diminuer le salaire des fonctionnaires. C’est une atteinte majeure au code des pensions qui fait obligation à l’État de verser à tout fonctionnaire embauché une pension (car dans ce système, il n’y a pas, à proprement parler, de « cotisation »). À terme, ces mesures conduiront à créer une « caisse de retraite ». Enfin, le « rapprochement » du privé conduit à la réduction des pensions comme peau de chagrin (50% du salaire de référence) ouvrant la voie aux « retraites complémentaires » par capitalisation. Tel est le contenu du « socle commun » du « document d’orientation ».
Le gouvernement veut aussi liquider les droits collectifs en « individualisant » les situations. Ainsi serait prévu, par exemple, « un point d’étape à 45 ans » : chaque salarié se verrait informé de sa situation personnelle au regard de son « parcours professionnel ». Moyen rêvé pour inciter à « travailler plus » lorsqu’on sait que nombre de salariés décident déjà « volontairement » de prolonger au-delà de 60 ans pour « compenser » les effets de la réforme de 2003…
Il faut noter que cette individualisation des droits est un aspect important du projet du PS rendu public le 18 mai. Au nom du respect des choix personnels, ce projet propose « une refonte globale de l’acquisition des doits », la « création d’un compte-temps individuel ». Derrière l’affirmation du maintien de l’âge légal de 60 ans, ce serait la liquidation de tout âge légal de départ en retraite !
Alors que le gouvernement organise le déficit des caisses, il prévoit de « nouveaux prélèvements » sur des assiettes ciblées (participation aux bénéfices ; intéressement) et une « contribution supplémentaire sur les revenus du capital ». Or, la « participation aux bénéfices » est soumise au fait que l’entreprise réalise des bénéfices, alors que le salaire est lié exclusivement à l’embauche. Et elle est utilisée pour limiter les augmentations de salaire. Quant à la « contribution sur les revenus du capital », c’est un impôt. Tout cela conduit à faire diminuer la part des cotisations sociales (salaire différé) affectées aux caisses de sécurité sociale et à augmenter les impôts.
Dans le même temps, le gouvernement accroît le déficit des caisses en refusant l’augmentation des cotisations patronales, et en poursuivant l’exonération de ces cotisations. Ces « exonérations » en parties compensées par le budget de l’État participent de façon importante au processus de fiscalisation ; ce faisant on détruit le système fondé sur la répartition du salaire différé.
Le dernier point du document gouvernemental, intitulé « assurer le succès de la réforme » donne la méthode pour vaincre l’opposition de la masse des travailleurs et des jeunes à cette politique de liquidation des retraites et de tous les acquis : le « dialogue social » permanent est indispensable.
Cela fait des mois que se mènent des « concertations » dans la cadre du COR ; elles se sont poursuivies dans les groupes de travail mis en place par le gouvernement. Elles ont préparé le terrain et légitimé la sortie du « document d’orientation sur la réforme ». Durant le même temps les organisations ouvrières (syndicats et partis), n’ont cessé de se situer sur le terrain de la « réforme » en proposant « d’autres financements », l’individualisation des droits… Le PCF justifie « la réforme » en affirmant l’existence de « problèmes démographiques réels ». Et de proposer « un débat démocratique », « citoyen », suivi du dépôt, par ses députés, d’une « proposition de loi alternative ». La Une de l’Humanité au lendemain de la publication du « document d’orientation » illustre parfaitement ce « jeu » : « Chiche » ; « Taxer vraiment les riches ».
La seule façon de faire payer le capital, de défendre les systèmes de retraites, c’est d’exiger l’arrêt immédiat des exonérations patronales, la restitution, par le patronat de toutes les exonérations. C’est d’augmenter les cotisations patronales.
L’objectif n’est pas « d’interpeller les pouvoirs publics », comme l’indique la plate-forme intersyndicale d’appel au 27 mai, ni de faire pression sur le gouvernement. Il imposer la rupture immédiate des « concertations » et la défense des véritables revendications :
<TAG4>Retrait du projet de réforme du gouvernement !
Maintien de l’âge légal de départ à 60 ans, retour aux 37,7 annuités pour une retraite à taux plein (75% du salaire des six derniers mois dans la Fonction publique, et du salaire des 5 meilleures années dans le privé). Aucune modification du code des pensions.
Utilisant les attaques et les coups portés précédemment, le gouvernement entend détruire les principes même des systèmes de retraites. Corrélativement, il cherche à soumettre plus étroitement encore les organisations syndicales à l’appareil d’État. La défense des retraites, et au-delà de la sécurité sociale, qui ont permis à la masse des travailleurs de n’être plus dépendants de l’assistance et de la charité, va de pair avec le combat contre la soumission du syndicalisme ouvrier à l’État bourgeois, à son gouvernement, à ses partis.
25 mai 2010