« Réforme » du Ceseda : « Si les juges appliquent la loi, changeons la loi » Eric Besson
Le 31 mars 2010, Besson a présenté au conseil des ministres un nouveau projet de loi de trente pages relatif à « l’immigration, à l’intégration et à la nationalité ». Avec cette réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA), Besson met en œuvre ce qu’il avait annoncé en janvier, lorsque les juges avaient annulé sa décision d’enfermer 123 réfugiés Kurdes. C’est la sixième loi relative à l’immigration en sept ans. Les lois Sarkozy-Hortefeux-Besson sont en réalités de véritables machines à fabriquer des sans papiers… Et le « Ministère des Expulsions », ainsi que le nomme l’historien Olivier Le Cour Grandmaison est chargé, jour après jour d’organiser les « rafles » contre ces « nouveaux ennemis intérieurs » que sont les « clandestins ».
Le 18 juin 2008, le Parlement européen adoptait la directive sur le « retour des étrangers en situation irrégulière ». Cette directive s’appuie largement sur la politique des États membres et en premier lieu sur les lois Sarkozy et Hortefeux votées en France en 2003, 2006, 2007 : sous couvert d’harmonisation européenne, elle prévoit la possibilité de prolonger jusqu’à 18 mois la durée de rétention des sans-papiers qui s’opposent à leur expulsion, l’interdiction de retour dans l’UE dans un délai de 5 ans après une expulsion et les dispositions relatives aux mineurs non accompagnés. Quatre mois plus tard, profitant de la Présidence française de l’Union européenne, Sarkozy et Hortefeux faisaient adopter au Conseil européen des 15 et 16 octobre un Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Ce Pacte fondé sur le concept d’immigration "choisie" renforce la coopération entre États membres : organisation de vols de rapatriement conjoints ; renforcement du dispositif Frontex créé en 2004 par l’UE pour une meilleure efficacité des contrôles aux frontières. Le Pacte prévoit enfin une procédure d’asile unique pour les États membres (en 2012 au plus tard). Deux autres directives ont été adoptées dans la foulée.
Le projet de loi du 31 mars doit transposer dans la législation nationale ces trois directives. Il met de plus en œuvre certaines conclusions du séminaire gouvernemental sur l’identité nationale (8 février 2010) et il s’inspire du rapport Mazenaud (11 juillet 2008) sur les politiques de la migration.
En ce qui concerne l’accès à la nationalité française, le projet de loi le conditionne à la signature d’une « charte des droits et devoirs du citoyen français » et à un « contrôle de l’assimilation » par le biais d’un « entretien avec un agent de l’État » (cette charte remplace l’exigence actuelle de la connaissance des droits et devoirs conférés par la citoyenneté française).
Quant à l’étranger qui voudra renouveler sa carte de séjour, ou obtenir une carte de résident, il devra attester de son respect « des valeurs fondamentales de la République », « de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, à la session d’information sur la vie en France ».
Le projet de loi devrait ainsi légaliser le retour au principe « d’assimilation », échafaudée sous la IIIe République et qui caractérise la colonisation française. Dans le cadre de l’Empire colonial, deux populations (métropole et colonie) étaient « unies » dans l’obéissance à un pouvoir commun. Mais ces deux groupes étaient hiérarchisés. Pour être « assimilé », le groupe dominé (colonisé) devait être « civilisé »… par le colonisateur. Aujourd’hui, la politique dite « d’intégration » emprunte directement à celle de « l’assimilation » coloniale. L’obligation ainsi faite à l’immigré de signer une « charte des droits et des devoirs du citoyens français » matérialise, « légalise » cette hiérarchie à l’intérieur même de la société française.
Le projet de loi diversifie encore les types de carte de séjour temporaire (CST). Il instaure la « carte bleue européenne » (prévue dans une directive de l’Union européenne). Cette carte d’une durée de trois ans renouvelable peut être attribuée à un étranger dont la rémunération est d’au moins une fois et demi le Smic, et qui est titulaire d’un diplôme au moins égal à la licence (ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans) et d’un contrat de travail d’au moins un an. Cette carte « ouvre aux travailleurs hautement qualifiés le même droit de séjour dans l’ensemble de l’Union européenne et leur permet d’accéder plus aisément au marché du travail ». Il s’agit d’accentuer encore le pillage de la main d’œuvre des pays du « sud » (pays dominés issus de l’indépendance des anciennes colonies). Le conjoint et les enfants de ces salariés bénéficieront de plein droit d’une carte de séjour. On peut noter trois autres cartes de séjours temporaire : CST mention « salarié », CST « salarié en mission », CST « compétences et talents ».
Le texte « assurerait » une meilleure protection des droits sociaux des travailleurs et renforcerait les sanctions envers les entreprises ayant recours au travail illégal. Les étrangers travaillant illégalement pour une entreprise auraient droit à un rappel de trois mois de salaire pour la période d’emploi illicite et à une indemnité de trois mois de salaire en cas de rupture du contrat de travail (un mois actuellement). Le préfet pourrait ordonner la fermeture administrative des entreprises qui emploient des sans papiers (six mois maximum). Le gouvernement va-t-il fermer les entreprises comme Bouygues, celles de restauration (plus de 50% emploient des sans papiers en Ile de France) ; la RATP qui sous-traite à des boîtes qui emploient des sans papiers ? Qui peut y croire ?
Les entreprises devraient agréer les sous-traitants auxquels elles font appel sous peine d’amende (7 500 euros), mais sans être pénalement responsables. Et surtout, le nombre d’inspecteurs, de contrôleurs du travail reste très insuffisant : un pour 1000 entreprises (450 pour plus de 17 millions de salariés ; une entreprise est en moyenne contrôlée tous les dix ans !). Et trois PV sur quatre sont classés sans suite… Par contre, le projet accentue la volonté du gouvernement de faire collaborer les différents corps de contrôle (Inspecteurs du travail, contrôleurs de l’Urssaf et policiers). Ainsi, les vérifications des inspecteurs du travail chargés de contrôler l’application du droit du travail par les employeurs pourraient être instrumentalisées pour « procéder à des reconduites à la frontière par les forces de police ». Cette « lutte contre le dumping social » , c’est la défense des intérêts des patrons ; et elle risque d’être utilisée pour accroître la chasse aux sans papiers.
L’administration peut assortir « l’obligation de quitter le territoire français » (OQTF) d’une « interdiction de retour sur le territoire » (directive « de la honte »). L’étranger a qui on a notifié une OQTF dispose jusqu’à ce jour d’un délai de trente jours pour faire appel. Toutefois l’étranger pourra, dans certains cas, être obligé de quitter le territoire sans délais ( « menace de trouble à l’ordre public » ; « risque de se soustraire à cette obligation »…). Il ne disposera alors que de 48 heures pour demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision. Et surtout le projet permet à l’administration d’assortir l’OQTF d’une "interdiction de retour" de trois ans sur le territoire français (avec prolongation possible de deux ans). C’est l’institution d’un véritable bannissement des territoires français et européen qui est prévu, auquel seront également exposés les travailleurs résidents en France depuis longtemps, ainsi que les conjoints de Français. L’étranger qui se sera soustrait ou tenté de se soustraire à une mesure d’OQTF ou qui expulsé aura pénétré à nouveau sur le territoire sera puni d’une peine de prison de trois ans.
En France, deux juges interviennent dans la procédure d’éloignement : le juge administratif (Tribunal administratif), qui se prononce sur la légalité de la mesure d’éloignement (OQTF et APRF : arrêté préfectoral de reconduite à la frontière) ; le juge des libertés et de la détention (JLD, Tribunal de grande instance), qui se prononce sur la régularité de la procédure de rétention.
Un préfet peut ordonner le placement en rétention (CRA) d’un étranger interpellé. Mais au bout de 24h, le JDL doit se prononcer sur la prolongation ou non de la rétention. Or, le projet de loi porte de deux à cinq jours le délai dans lequel l’administration devra saisir le JLD : un nombre considérable de procédures de reconduite à la frontière pourront ainsi être mises à exécution. Si l’administration échoue dans sa tentative d’expulsion pendant ces cinq jours d’impunité, le pouvoir d’appréciation du JLD sera considérablement restreint (la nouvelle loi lui imposera, par exemple, de « tenir compte des circonstances particulières liées au placement en rétention d’un groupe d’étrangers »).
En janvier dernier, les JLD avaient décidé de libérer 123 réfugiés Kurdes débarqués en Corse et demandeurs d’asile. Ces réfugiés avaient été placés en centre de rétention (CRA). Or, les réfugiés demandeur d’asile n’ont pas à être placés en CRA, mais dans des Centres d’accueil de demandeurs d’asile durant le temps où leur dossier est instruit par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Les réfugiés touchent alors une allocation temporaire d’attente (10,67 euros par jour). « Éloignez ce juge …qui m’agace », tel est le titre du communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en date du 31 mars : il cible le projet de loi Besson, lequel vise à empêcher le JLD à remettre des étrangers en liberté, comme ce fut le cas pour les 123 Kurdes...
Le taux d’exécution des OQTF est trop faible (23,9% en 2009). D’où la réforme des procédures et le contentieux d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. En outre, la durée maximale de rétention administrative passerait de trente-deux à quarante-cinq jours. Enfin des « zones d’attente spéciales » flottantes seraient mises en place sur « l’ensemble du périmètre » où seraient découverts « des étrangers en situation irrégulière ». Elles s’étendraient jusqu’au point de passage frontalier le plus proche (c’est à dire sur des dizaines ou des centaines de kilomètres).
Créées en 1992, les zones d’attentes (une cinquantaine de zones d’attente en métropole) sont situées « à proximité immédiate du point de passage d’une frontière entre la France et un autre pays ». Un étranger y est « maintenu » le temps qu’il décide de repartir ou que l’administration s’assure du bien fondé d’une demande d’asile. Avec le projet Besson, le préfet pourra transformer en « zone d’attente » n’importe quel lieu où un policier aura trouvé UN étranger. Les étrangers dépourvus de documents, même demandeurs d’asile, se trouveront ainsi enfermés et privés de l’essentiel de leurs droits. La possibilité de créer de telles zones aurait permis à Besson, en janvier d’y maintenir les 123 Kurdes, lui évitant le désaveu infligé par les JLD.
En portant la durée de la rétention à 45 jours, en repoussant l’intervention du juge des libertés, en réduisant son pouvoir de contrôle, en créant des « zone de non droit », le gouvernement veut banaliser l’enfermement des étrangers et organiser l’impunité de l’administration. Il réduit quasi à néant l’accès au droit d’asile et les possibilités de défense des étrangers.
« Le droit des étrangers a toujours été le laboratoire du pire » rappelle le Syndicat des avocats de France (SAF). C’est l’ensemble des travailleurs et des jeunes qui sont concernés par ce nouveau projet de loi. L’urgence est d’exiger le retrait du nouveau projet de Ceseda et de combattre pour que l’unité des organisations ouvrières se réalise sur cette revendication.