Un siècle important de luttes de classes - Dossier Chine : Introduction
Le 1er octobre 1949, à Pékin, place Tian Anmen, Mao Zedong proclamait la République populaire de Chine. Soixante ans plus tard, le 1er octobre 2009, les cérémonies d’anniversaire donnaient lieu à une grande parade militaire sur l’avenue Chang’an (avenue de la Paix éternelle) longeant la place Tiananmen (corps de l’armée chinoise, chars, missiles, avions, etc…). Le spectacle pyrotechnique était dirigé par Zhang Yimou (le cinéaste déjà chargé des jeux olympiques de Pékin).
La presse officielle a souligné la démesure de cette opération. Quant aux Chinois, ils étaient cantonnés chez eux, devant la télévision, par les mesures de sécurité draconiennes : 6 000 officiers de police et près de 800 000 « volontaires » déployés dans les rues de la capitale. Ce déploiement policier supérieur à celui des jeux Olympiques de 2008 s’est accompagné d’un déferlement de propagande dans les médias. Pour Hu Jintao et le régime, il s’agissait avant tout d’exalter le sentiment national et ainsi de légitimer le Parti.
Pour le régime policier de Pékin, cette exaltation du sentiment national est d’autant plus nécessaire que « l’effet JO » a totalement disparu et que les émeutes, les révoltes se multiplient et se font plus violentes. Ainsi le 22 juin, suite à la mort suspecte d’un employé, à Shishou dans la province de Hubei (centre) selon l’AFP, "au moins 10.000 personnes s’étaient rassemblées. Les policiers ont été pourchassés par des habitants", des véhicules de la police ont été endommagés ou retournés.
Dans les villes de Daqing (2,5 millions d’habitants, province du Heilongjiang) et de Liaoyang (1,8 millions d’habitants, province du Liaoning), au cœur du bassin industriel de Mandchourie frappé par la crise économique, des milliers d’ouvriers du Nord-est de la Chine ont manifesté durant plusieurs semaines pour réclamer le versement de leurs allocations et la libération de leurs représentants : c’est sans doute le plus grand mouvement de protestation publique depuis les événements de Tian Anmen en 1989.
Ainsi, à Daqing, jusqu’ à 30.000 personnes, descendaient tous les jours dans la rue (rien que dans cette ville, ce sont 88.000 employés dont on a annoncé le licenciement depuis deux ans). Le 24 Juillet, les travailleurs d’une usine sidérurgique d’État de la province de Jilin ont attaqué et tué un haut responsable au cours d’une protestation contre le projet de privatisation de l’usine.
Au centre du Hunan, le 22 août, plusieurs milliers de travailleurs du Groupe Hunan industrie charbonnière sont entrés en grève contre la privatisation de l’entreprise d’État et le plan d’introduction en bourse. C’est la troisième grande manifestation contre un projet de privatisation en un mois.
À Chengdu (4 millions d’habitants, capitale de la province du Sichuan), les chauffeurs d’autobus se sont mis en grève et ont organisé leur mouvement indépendamment du syndicat. Les syndicats officiels sont des organes dépendants de l’entreprise et agissent pour soutenir la production de l’entreprise. Les salaires des responsables syndicaux d’entreprises sont payés par l’entreprise. Ces syndicats officiels servent à contrôler les travailleurs. Or, « les travailleurs commencent à s’organiser et à régler leurs problèmes par eux-mêmes, c’est un signe à la fois encourageant, et inquiétant, car ils sont motivés par la faim », annonce le China labour bulletin, association qui milite pour la défense des droits des travailleurs.
La violence des rapports entre les classes est une donnée constante depuis plus d’un siècle. Et durant les trente dernières années la société chinoise a connu des bouleversements considérables.
Les importantes luttes des classes qui ont marqué la Chine au XXe siècle, sont liées aux développements de la révolution ouvrière et de la contre révolution à l’échelle mondiale. L’année 2009 est l’occasion de rappeler les étapes des grands combats de classes qui ont jalonné la Chine :
– 2009, c’est le quatre-vingt-dixième anniversaire du début du « Mouvement du 4 mai 1919 Â ».
– 2009, c’est aussi le vingtième anniversaire du massacre de Tien Anmen ordonné par la bureaucratie chinoise pour briser le mouvement des masses mettant en cause son pouvoir : cette mobilisation commencée à la mi-avril était écrasée dans le sang dans la nuit du 3 au 4 juin.
Le mouvement ouvrier chinois s’est développé entre 1919 et 1927. En 1927, la politique de Staline a conduit à la défaite de la révolution ouvrière. En 1949, c’est un Parti Communiste Chinois stalinisé qui, suite à la défaite de Chang Kaï-chek prend le pouvoir. Ce parti, issu de l’appareil stalinien international, mène durant trente ans une politique de zig zag et de répression des masses. Puis, sous la direction de Deng Xiao-ping, à partir de 1979, « l’économie socialiste de marché » engage le processus de restauration du capitalisme. Aujourd’hui, l’insertion de la Chine dans le marché mondial capitaliste et son ouverture au capital mondial est très avancée ; elle génère d’énormes inégalités spatiales et sociales.
L’histoire a montré les capacités de mobilisation et de combat du prolétariat et des masses chinoises. Leur nombre (plusieurs centaines de millions) en font une puissance objective. Mais ce prolétariat est divisé et privé de tout droit d’expression et d’organisation.
Pourtant, les émeutes ouvrières (et paysannes) actuelles en réaction aux privatisations des entreprises d’État, aux licenciements, aux baisses de salaires, aux expropriations…font naître la nécessité impérieuse d’arracher la reconnaissance des droits démocratiques. La constitution d’organisations ouvrières (syndicats et partis) mettrait immédiatement à l’ordre du jour la centralisation des combats contre l’État central. C’est ce que redoute le gouvernement ; d’où, le maintient, l’accentuation de la répression. Mais la crise exacerbe les contradictions, y compris parmi les couches moyennes sur lesquelles il s’appuie.
Le manque d’informations rend difficile l’appréciation sur l’intensité et la qualité des mobilisations, des émeutes ouvrières ou paysannes qui éclatent à nombre d’endroits. Mais la Chine n’est pas à l’abri des grands combats de classes que la crise met à l’ordre du jour.
Pour comprendre ce qui est en jeu, il est nécessaire de restituer cette actualité dans l’histoire contemporaine complexe de la Chine. C’est l’objet de cet article. D’autres articles reviendront sur la période qui va de 1949 a aujourd’hui.