Enseignement, Université, Recherche
Six mois de combat à l’Université
Le 22 janvier 2009 se réunissait la première coordination nationale des universités, qui déclarait que
« Si le ministère ne retire pas, sans préalable :
1) le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs
2) la réforme de la formation et des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré »
l’Université « se mettra en grève totale, reconductible et illimité : le 2 février 2009 l’université s’arrête ».
Fait appréciable : il n’est formulé aucune demande de « dialogue », « concertation », ou « négociation ».
Cette première coordination représentant 46 universités était le point de départ d’un combat qui allait prendre, par bien des aspects, un caractère historique.
La mobilisation qui explose fin janvier avait mûri six mois durant, depuis qu’en juin 2008 avait été lancée la réforme de la formation et des concours de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire.
À La volonté de résister s’était aussitôt manifestée. En octobre, les prises de positions et les Assemblées générales s’étaient multipliées. Et les universitaires refusaient de renvoyer au ministère les maquettes exigées pour la mise en œuvre de la nouvelle formation. Le second projet gouvernemental menace de briser le statut des enseignants-chercheurs, et provoque un tollé.
Le 12 décembre, de la Sorbonne est lancé un appel à la mobilisation, alors que les lycéens déferlent dans les rues en exigeant le retrait de la réforme des lycées. Aussitôt, craignant que cette mobilisation rejoigne celle de l’Université, Sarkozy décide le report de la réforme des lycées, et la reprise des concertations.
A la suite de l’appel du 22 janvier, se tiennent de nombreuses assemblées générales, souvent massives.
Presque partout, les universités décident de participer, sans attendre le 2 février, à la grève nationale interprofessionnelle du 29 janvier qui avait été appelée par l’ensemble des confédérations syndicales. Ce dont veulent se saisir les salariés, c’est du caractère unitaire de cette grève du 29, sans prêter attention au contenu de l’appel (qui ne dit mot des réformes menaçe;ant l’université, l’enseignement, et la recherche…mais en appelle au dialogue social et à une meilleure « politique de relance économique »).
Cette journée de grève prend le caractère d’une grève générale, marquée surtout par l’ampleur historique des manifestations : 2,5 millions dans tout le pays. Sarkozy est la cible privilégiée des manifestants.
Mais après ? Il s’agit d’une journée d’action, et les confédérations ne veulent pas d’un combat frontal contre Sarkozy. Tout dépend à ce moment là de la capacité du mouvement spontané, en particulier à l’Université et dans l’enseignement, à organiser la grève générale, en relation avec la grève historique qui se développe en Guadeloupe, où la grève est générale depuis le 20 janvier.
Le lundi 2 février, la masse des 57 000 enseignants- chercheurs s’engage dans la grève.
Des étudiants sont présents dès le début de cette mobilisation. Certains secteurs sont particulièrement actifs : étudiants des STAPS, étudiants préparant les concours, étudiants menacés par le contrat doctoral unique, étudiants d’IUT. Des AG massives se tiennent et votent la grève le 2 février (2000 participants à Rennes II, 3000 à Toulouse), puis les 3 et 4 février (1000 à Dijon, 1500 à Bordeaux III, etc…).
Le 5 février, des dizaines de milliers d’universitaires défilent dans les grandes villes. A Paris, le cortège, qui inclut de nombreux étudiants, échappe au contrôle policier et syndical au lieu prévu de dispersion…
Le 10Â février, la présence des étudiants est encore plus forte. Et les manifestations du 19 février se tiennent avec le renfort d’enseignants des premier et second degrés. Dans les cortèges, l’abrogation de la LRU fait désormais partie des mots d’ordre mis en avant.
La mobilisation s’est d’abord engagée à partir de différentes revendications : les enseignants- chercheurs contre le décret attaquant leur statut, une partie des enseignants et une partie des étudiants contre la mastérisation, les futurs doctorants contre le contrat doctoral unique, les enseignants et étudiants d’IUT en défense de leur budget spécifique, etc…. Les AG définissent donc un ensemble de revendications dont l’une prend une valeur générale et unificatrice : l’abrogation de la LRU.
Dès le début, cette mobilisation massive se heurte à la politique des dirigeants syndicaux.
Un communiqué du conseil des ministres du 2 juillet 2008 avait précisé l’objectif de Sarkozy. La préparation des concours de recrutement des enseignants serait, dès la rentrée 2009, intégrée dans un master professionnel spécifique, distinct du master-recherche (préparant au doctorat). Le 17 octobre, le ministère fixait au 31 décembre 2008 la date limite pour que les universités renvoient leurs projets de maquettes (précisant le contenu de ces nouveaux masters). Désormais, l’étudiant devra financer une voire deux années d’étude supplémentaires avant de pouvoir passer le concours d’instituteur ou le CAPES.
En M2, l’étudiant passera l’écrit du concours (réduit à très peu d’épreuves) en fin du premier semestre ; puis l’oral après le stage effectué au second semestre. Cet oral devient essentiel : une nouvelle épreuve « d’entretien avec le jury » sera instaurée. Celle-ci ressemblera à un véritable entretien d’embauche. Le jury comprendra des représentants de l’administration et de la « société civile », c’est-à-dire des patrons.
S’il réussit, l’étudiant enseignera aussitôt à temps plein, aidé d’un vague « compagnonnage ». 15 000 postes seront ainsi économisés. Et s’il échoue, l’étudiant pourra, avec ce nouveau master, être recruté en contrat précaire par les chefs d’établissement !
Augmenter la part de l’enseignement permettra de réduire le nombre des enseignants-chercheurs. Ce dispositif permettra en outre de « punir » les fortes têtes. Et le financement des universités selon le « mérite » conduira les présidents d’Université à mettre en œuvre les exigences du gouvernement.
Alors que les AG d’étudiants votent et reconduisent la grève, la direction de l’Unef refuse d’appeler à la grève générale, appelant seulement à des journées d’action.
De même, la direction de la FSU freine la mobilisation : si elle appelle à soutenir le mouvement, elle refuse tout appel qui irait dans le sens de la grève générale de toute l’éducation nationale. De même demande seulement de « revoir profondément », et non de retirer, le projet concernant la réforme des concours….Et, bien évidemment, elle demande de « véritables négociations » !
Le gouvernement est également « aidé » par les dirigeants des 8 confédérations et fédérations qui, après les gigantesques manifestations du 29 janvier, jouent la montre. Alors que la grève générale en Guadeloupe est engagée depuis le 20 janvier, ces dirigeants décident d’une nouvelle journée d’action pour le 19 mars, soit sept semaines après la journée du 29 janvier. Un quotidien patronal remarque ironiquement : il est « difficile de temporiser davantage » …
La raison en est que l’enjeu prend un caractère politique. Chérèque, responsable de la CFDT, s’inquiète : « le risque existe » que la mobilisation devienne une mobilisation anti Sarkozy, ce à quoi il s’oppose.
Et pour aider pleinement le gouvernement, les bureaucrates syndicaux poursuivent les négociations durant le même temps sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique.
Les partis politiques sont tout aussi conciliants avec le gouvernement. Un communiqué du 3 février signé par 11 organisations dites « de gauche », soutient les mobilisations en cours mais n’exige pas l’abrogation de la LRU et des décrets, seulement de « revenir sur » ces textes. Il ne fixe pas l’objectif d’infliger une défaite à Sarkozy, mais laisse croire que Sarkozy pourrait mener une autre politique. Ce texte, qui est sur l’orientation du PS et du PCF, est également signé par LO et le NPA …
Cette contradiction entre la puissance de la mobilisation et la politique des bureaucrates se reflète au sein de la coordination des universités.
La CNU sous la pression contradictoire de la mobilisation et des bureaucrates syndicaux
A l’ouverture de la deuxième coordination nationale, le 2 février, s’exprime le caractère politique du combat : « Pécresse, Sarkozy, Darcos, démission ! » scandent les centaines de délégués.
Cette coordination appelle à « rejoindre le mouvement de grève totale, reconductible, illimitée, déjà engagée dans certaines universités. ».
Mais la pression des bureaucrates syndicaux est facilitée par l’organisation peu démocratique de cette CNU. Ainsi, le texte adopté prétend-il que « depuis près de deux ans, le Ministère a décidé et fait voter à la hussarde une série de « réformes » sans aucune négociation » : or, les négociations ont été innombrables, et les dirigeants du Snesup et des autres syndicats n’en n’ont pas manqué une seule.
En ce qui concerne la LRU, la CNU « constate que toutes ces contre-réformes résultent de la loi LRU », ce qui est exact. Mais au lieu de demander son abrogation, elle demande des consultations « sur une nouvelle loi ». Par ce biais, les bureaucrates ont réussi à introduire leur politique du « dialogue social ».
Néanmoins, en dépit des bureaucrates, sont votées de nouvelles revendications, comme « la titularisation des personnels contractuels, le retrait du contrat doctoral unique,la restauration des cadres nationaux des diplômes et des statuts ». Les délégués cherchent ainsi à fédérer les résistances jusqu’alors éparses.
Sarkozy pense donc pouvoir passer en force. Le 9 février, il annonce qu’il maintient le rythme des réformes, et les quelques mots consacrés aux universitaires sont volontairement méprisants et mensongers.
Mais la situation devient intenable. Cela conduit Valérie Pécresse à de premières manœuvres. Elle annonce donc que le décret sera « retravaillé » et elle nomme une médiatrice, Claire-Blazy Malaurie, pour prolonger de deux mois la concertation sur le statut des enseignants-chercheurs.
Le 10 février, une première réunion est organisée par la médiatrice. Mais la direction du Snesup, qui ne cessait de réclamer concertation et négociation, se voit contrainte de ne pas y aller. C’est la force de la mobilisation, son organisation en AG et coordinations qui contraint les dirigeants syndicaux, particulièrement ceux du Snesup (syndicat majoritaire du Supérieur), à refuser les négociation.
Cela conduit les présidents d’université à souhaiter un recul tactique. Ainsi, Axel Khan demande le retrait d’un texte qu’il juge pourtant « acceptable » car « la situation va devenir incontrôlable ». Il s’inquiète d’ailleurs que les opposants à la LRU en profitent pour demander « un second tour pour la LRU ». Il s’agit donc bien désormais de sauver la LRU.
Et le mercredi 11, la CPU demande le « rétablissement des postes supprimés », ainsi que le report à 2011 des nouveaux concours de recrutement, afin que « la négociation et la concertation » puisse s’engager.
Le 11 février, la troisième CNU « appelle à la convergence des revendications de la maternelle à l’enseignement supérieur » et « invite les enseignants du premier et du second degré et leurs organisations syndicales à rejoindre ce mouvement. »
Le 13, Sarkozy s’inquiète. Comme la CPU, il veut que soient "rapidement explorées de nouvelles pistes ».
Au même moment, aux Antilles, le ministre Yves Jégo commence à reculer face à la mobilisation….
C’est la première coordination étudiante qui se tient, distincte de la Coordination des Universités (CNU).
La mise en place de cette seconde coordination ne relève pas d’une volonté de diviser, mais découle à l’inverse de la volonté renforcer la mobilisation, en donnant toute leur place aux étudiants qui sont fort peu représentés dans la coordination des Universités.
Cette CNE met l’abrogation de LRU en tête des revendications formulées, sans en faire un préalable aux autres revendications. Et il n’est demandé ni « négociation » ni « dialogue social ».
La radicalisation qui s’exprime dans la Coordination des étudiants se réfracte cinq jours plus tard dans la 4° Coordination des Universités. Celle-ci exige désormais, comme la CNE, « l’abrogation de la LRU et du Pacte pour la Recherche » mais elle dénature cette exigence en continuant de demander « une nouvelle loi », laquelle devrait « élaborée après consultation et de véritables négociations ».
Le mercredi 25 février, le gouvernement tente une nouvelle manœuvre. Fillon déclare à la CPU, comme elle le souhaitait, qu’il n’y aura pas de suppressions de postes en 2010 et 2011... Il annonce également une nouvelle écriture du projet concernant le statut des enseignants-chercheurs.
La manœuvre fonctionne : vendredi 27, les représentants de syndicats minoritaires négocient avec la CPU et le gouvernement sur le projet de statut des enseignants-chercheurs. Le 3 mars, la discussion reprend avec la CPU, puis avec quatre syndicats minoritaires (FO, Unsa, Sgen-CFDT, Autonome-sup).
Quant au Snesup, certes il va pas aux négociations, ce qui est une difficulté pour Pécresse, mais en même temps il « couvre » ces négociations en se félicitant de prétendus « premiers reculs » du ministre.
Il ne mène donc aucune bataille contre la tenue de ces négociations, et justifie son absence aux négociations en prétextant un « périmètre des discussions trop restreint » Il laisse donc simplement les autres appareils faire le sale boulot. Il est vrai que, au sein du Snesup, les débats sont durs, réfraction de la mobilisation à l’intérieur du syndicat. Mais le Snesup se déclare « prêt à rencontrer le gouvernement ».
Et cela se concrétise très vite : le 4 mars, Pécresse reçe;oit « en solo » les dirigeants du SneSup. La 3° coordination étudiante, quant à elle, réaffirme l’exigence de l’abrogation de la LRU « sans conditions, ni négociations ». Mais ne dit rien de la nécessité pourtant cruciale de rompre les négociations qui se tiennent au même moment.
Alors que 40 à 50 000 enseignants-chercheurs et étudiants manifestent ce jour là, les négociations se concluent le 6 mars par un accord. Le service des enseignants -chercheurs intègre désormais d’ « autres activités », et pourra être modulé. Certes, cette modulation ne pourra être que « choisie et acceptée par l’intéressé ». Mais cette formule ne protège guère, car les moyens de pression sont multiples.
Autre inflexion : l’évaluation sera « nationale » et faite par les « pairs ». Quant aux conditions de promotions semblent peu changées Mais cela ne peut masquer l’essentiel : la loi d’autonomie des universités a conduit à casser l’ancien statut, ceci avec la participation directe de représentants syndicaux (FO, Unsa, CFDT) et la complicité de ceux du Snesup. Le décret sera publié le 25 avril au journal Officiel.
Avec cet accord, Pécresse espère qu’elle pourra désormais affronter aisément les autres résistances.
Si les enseignants chercheurs continuent à s’opposer à leur nouveau statut, cette seconde phase de la mobilisation est surtout structurée par le refus du projet de mastérisation.
Sur ce point, la 5° CNU du 6 mars choisit ambigû : « Elle exige le retrait pur et simple et sans condition de ce projet » … « tout en soutenant l’exigence de la reconnaissance du niveau de qualification des enseignants des premier et second degrés à Bac + 5 ».
Ce faisant, la direction du Snesup, qui pèse un poids décisif dans la coordination, cautionne les dirigeants du SNES, principal syndicat du second degré, favorables à la mastérisation et continuant à négocier.
La mobilisation ne reflue pas, malgré l’accord trouvé avec les syndicats minoritaires sur le statut des enseignants-chercheurs, malgré les discussions ouvertes le 10 mars sur le nouveau contrat doctoral unique, et malgré un soi disant « geste » de Darcos sur la mastérisation. De fait, ce « geste » consiste à proposer en master 1 des stages d’observation et de conduite accompagnée de 108 heures à 100 000 étudiants, et 108 heures de stages « en responsabilité » à 50 000 étudiants en master 2 : une drôle de concession, qui conforte la réforme engagée et fournit à l’état, à un prix très avantageux, une masse de vacataires.
Les manifestations décidées pour le 10 mars ont été repoussées au mercredi 11 par les dirigeants de la FSU qui refusent la grève. Les cortèges regroupent néanmoins, outre des parents, de nombreux enseignants du primaire et du secondaire aux côtés de l’université. L’aspiration au combat uni tend à converger vers la journée nationale du 19 mars. Mais la conscience grandit qu’après le 19 mars, les dirigeants syndicaux confédéraux n’appelleront pas à la grève énérale.
Pourtant ce mouvement entre en résonance avec la grève générale qui se poursuit en Guadeloupe et en Martinique. La situation se tend. Plus de la moitié des universités sont touchées par des blocages ou par « le printemps des chaises » qui rend impossible les cours sans pour autant fermer les campus.
Certains des étudiants mobilisés ne sont pas partisans du blocage, redoutant les campus désertés et la démobilisation qui en résulte. D’autres, qui ne peuvent se permettre d’être notés absents au risque de perdre leur bourse, choisissent le blocage qui rend impossible le contrôle des absences. Dans bien des cas, ce sont des AG de 1000 ou 2000 étudiants qui décident le blocage (comme le 23 mars à Reims).
Le recours au blocage est aussi une tentative de contourner l’obstacle que représente la politique des responsables syndicaux, un substitut au combat pour imposer aux responsables syndicaux qu’ils cessent de négocier avec le gouvernement. On bloque l’entrée du campus, mais pourquoi ne bloquerait-on pas ni n’occuperait les locaux des responsables syndicaux pour qu’ils se mettent au service des grévistes ?
De même, la CNE du 16 mars dénonce « les directions syndicales » (comme l’Unef) qui « prétendent négocier en notre nom ». Mais rien n’est formulé pour que les responsables syndicaux se mettent au service de la mobilisation. On dénonce ces « directions » au lieu de mener une politique de front unique.
Deux millions ? Trois millions de manifestants ? Un record de toute façe;on, et c’est davantage qu’en janvier. Les salariés sont venus en masse, mais la grève n’est pas générale. Et ensuite ?
Tous les dirigeants politiques et syndicaux vont œuvrer pour éviter à Sarkozy une défaite politique qui le menacerait, lui et son gouvernement. Ils continuent donc en particulier de jouer la montre, agissent pour que restent isolée la mobilisation à l’université et celle aux Antilles.
En même temps, ces dirigeants n’arrivent pas à éteindre ces deux foyers de combat. Et le 24 mars, de nouveau, les enseignants et les étudiants manifestent, rejoints par des cortèges lycéens. Mais les étudiants ont pu constater que la plupart des lycéens, entravés par la Fidl et l’Unl, ne s’engageraient pas. Et rares sont ceux qui désormais croient possible de gagner par la grève générale.
Darcos fait, le 20 mars, un petit « geste » : les nouveaux concours sont reportés d’un an, avec un dispositif transitoire pour l’année 2010. Mais la nouvelle formation se mettra en place dès septembre. Le 30 mars, Pécresse annonce que 130 postes, supprimés dans la Recherche en 2009, sont rétablis. Cette concession, peu coûteuse, correspond aux voeux de la CPU pour que puisse reprendre le « dialogue ».
Le même jour, les dirigeants syndicaux confédéraux brisent les dernières illusions de ceux qui espéraient encore le combat commun de l’Université avec l’ensemble des salariés. Ces dirigeants annoncent une troisième journée de manifestations, mais sans grève, et 6 semaines après la précédente : ce sera le 1er mai ! C’est un véritable sabotage organisé dans l’unité par les appareils bureaucratiques.
Dans ce contexte, la mobilisation à l’université, est désormais vouée à l’isolement. Mais, malgré les congés scolaires, malgré l’impasse politique, la mobilisation se poursuit. Le 28 avril, 20.000 manifestants exigent encore le retrait des réformes, tandis que la moitié des universités sont touchées par la grève et les blocages. Les enseignants et étudiants refusent de mettre fin à leur combat. Au-delà des revendications, c’est leur détermination politique qu’ils affichent par la grève, leur volonté de tenir tête face à cette politique et à ce gouvernement. Ils signifient ainsi à Sarkozy leur opposition totale en dépit des obstacles.
Pour diluer cette résistance, un nouvelle commission de concertation est installée : le 21 avril, Darcos et Pécresse chargent le recteur Marois et Filàtre, président d’université, de remettre soi disant à plat le projet de mastérisation … La FSU et le SneSup décident de participer à cette concertation, pour un temps.
Le premier mai, il y a plus d’un million de manifestants
Le coup de grâce est alors donné par les bureaucrates syndicaux : le 4 mai, les dirigeants des 8 confédérations et fédérations se mettent d’accord pour renvoyer une nouvelle fois toute action six semaines plus tard, au 13 juin. Et, pour enfoncer le clou, c’est un samedi qui est choisi…
Tout le monde comprend qu’il s’agit du refus de tout combat contre le gouvernement. La mobilisation est dès lors condamnée. Pourtant, la mobilisation s’accroche. Nombre d’universités sont encore bloquées. De même la résistance des enseignants « désobéisseurs » du primaire persiste. Mais les manifestations sont désormais clairsemées. Durant la seconde quinzaine de mai, les derniers lots de résistances cèdent.
Le 4 mai, la « ronde des obstinés », qui avait commencé sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris le 23 mars, prenait fin, faute de volontaires. Elle s’inscrivait dans une longue série d’actions symboliques et médiatiques. Mais, ces « nouvelles formes » de lutte, comme elles furent nommées, ne permettent pas de résoudre les difficultés politiques auxquelles la mobilisation s’est heurtée, en particulier la politique des responsables syndicaux, et l’absence de perspective qui résulte de la politique du PS et du PCF.
Le gouvernement fait en mai deux minuscules concessions : il annonce d’abord que les lauréats des concours 2010 qui seront titulaires d’un M1 pourront être recrutés comme fonctionnaires stagiaires sans attendre d’avoir un M2. Mais cela reste une mesure transitoire. Puis il promet qu’en 2010 et 2011, comme cela a été concédé à l’université, il n’y aura pas de suppressions de postes dans la Recherche.
En même temps, le gouvernement maintient le rythme pour le second volet de la réforme.
Les 27 et 28 mai, le ministre présente les projets de décrets sur « les dispositions permanentes de la formation et le recrutement des enseignants » devant le comité technique paritaire. Non seulement les dirigeants de la FSU acceptent de siéger lors de la seconde séance, mais ils s’abstiennent lors du vote.
Les élections européennes de juin voient le succès des listes de l’UMP. Un remaniement ministériel fait suite à ce succès électoral de Sarkozy, que la politique des appareils syndicaux et politiques a préparé.
Le 24 juin, Darcos, qui a annoncé la suppression de 16500 postes dans l’éducation nationale, laisse la place à Chatel, qui va poursuivre la même politique, y compris sur le terrain de la répression. Celle-ci vise des enseignants « désobéisseurs », mais aussi des stagiaires IUFM qui se sont montrés critiques par rapport aux projets gouvernementaux. Des étudiants sont traînés devant les tribunaux.
Le 17 juillet, la commission Marois-Filâtre rend son rapport….Mais les décrets sur la mastérisation sont déjà prêts : la commission n’a servi qu’à attendre les vacances. Le 29 juillet, les décrets sont publiés.
Quatre commissions techniques devront encore préciser d’ici fin octobre le contenu des masters et des concours et surtout la place du concours en deuxième année de master. Ce qui fait débat.
Sans attendre, le ministère publie le 20 août une circulaire sur les stages en responsabilité des étudiants de M2Â ; non encore admis au concours, ils devront prendre en charge la classe d’un enseignant pendant une durée de 108 h. .Et - malgré les « engagements » antérieurs - les étudiants pourront assurer un service de 18h hebdomadaire, et être ainsi utilisés comme remplaçe;ant, durant six semaines, d’un professeur absent.
Désormais, c’est donc un combat difficile, à caractère défensif, que vont devoir livrer les étudiants et les enseignants pour freiner et limiter la mise en application de cette réforme réactionnaire.
A prés six mois de combat, la mobilisation se conclut donc, pour l’essentiel, par un sévère échec. Le statut des enseignants-chercheurs a été modifié, et la réforme de la formation et des concours est engagée.
Pour imposer au gouvernement le retrait des deux réformes, il aurait fallu que la mobilisation puisse, en relation avec la mobilisation générale, menacer l’existence même du gouvernement. Pour ce faire, il aurait fallu que soit avancée, par le PCF et le PS essentiellement, une alternative politique immédiate : un gouvernement sans Bayrou ni Modem ni aucune force bourgeoise, qui abroge immédiatement la LRU et l’ensemble des décrets d’application. Ce ne fut pas le cas.
Cette mobilisation n’a pas eu, par elle même, la puissance suffisante pour lever les obstacles dressés sur son chemin. Mais il faut dire que ces obstacles étaient majeurs : outre que le combat se menait contre les décrets d’application d’une loi, la LRU, déjà votée ;il y avait la complicité ouverte des appareils syndicaux avec le gouvernement, et l’absence d’alternative au gouvernement de Sarkozy.
Or le gouvernement ne pouvait renoncer. L’enjeu allait au-delà de la question universitaire : retirer ses réformes aurait été pour lui, quelques semaines après son échec aux Antilles, une défaite majeure qui aurait ouvert la voie à un déferlement général de revendications, et aurait menacé son existence.
Mais la victoire du gouvernement n’est pas une victoire en rase campagne. Il s’est heurté à une résistance imprévue et acharnée, et a dù édulcorer la réforme du statut des enseignants-chercheurs. Des secteurs très précarisés (comme les bibliothécaires) se sont soudés et ont réduit le recours aux vacataires. Quant à la réforme des concours des enseignants des premier et second degrés, elle reste encore à mettre en œuvre.
Surtout, alors que le corps des enseignants-chercheurs était depuis longtemps émietté et disloqué, c’est une véritable reconstruction politique qui s’est opérée à l’université : une conscience politique organisée s’est reconstituée, englobant le plus grand nombre (mais non la totalité) des enseignants-chercheurs. Ce combat des enseignants-chercheurs, des personnels, avec les étudiants, a miné le gouvernement, et contribuera inévitablement à ce que soit, tôt ou tard, chassé Sarkozy et son gouvernement.