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Le double apect de la réforme Sarkozy-Chatel des lycées : une réforme contre les lycéens, une réforme contre les enseignants
Sarkozy a présenté lui-même, le 13 octobre, le projet de réforme qu’il veut imposer aux lycées. Depuis, quasi tous les commentaires vont dans le même sens : ce serait une réforme « allégée », différente de la réforme que défendait Darcos il y a un an, et que la mobilisation des lycéens avait mise en échec en décembre 2008. Ce discours est tenu notamment par les partis dits « de gauche » : ce serait une réponse « cosmétique » dit Bruno Julliard au nom du PS, et une « réforme minimale » selon le Parti communiste.
Quasi tous les dirigeants syndicaux minorent ce projet, et souvent se réjouissent : « Nous retrouvons dans ce plan de réforme des revendications que nous portions », avoue Gérard Aschiéri, responsable de la FSU.
Il en est de même des organisations lycéennes : « "Nous nous félicitons du système d’aide personnalisée (…) et des possibilités de réorientation en cours d’année" déclare l’UNL, qui demande des moyens pour ce projet ; et la Fidl voit là des « pistes de travail intéressantes » mais juge que ce n’est pas « suffisant ».
Il faut donc, à l’inverse, redonner le contenu réel de ce projet emprunté au rapport Descoings, ainsi qu’au rapport du député UMP Apparu, et rappeler dans quel contexte est lancée cette réforme.
Le contexte, on le connaît : 16 500 postes seront supprimés pour la seule année 2010 dans l’enseignement. Sarkozy prétend que la réforme sera faite à « moyens constants » : c’est là du double langage. Car même si les « moyens » étaient inchangés en volume, cette réforme permettra de remplacer de nombreux professeurs par d’autres « moyens » : des vacataires, des étudiants en stage, des « locuteurs natifs » en langues vivantes, etc…Et cela passe par la suppression massive d’heures de cours.
Le contexte, c’est aussi l’avalanche de réformes qui s’abattent sur l’enseignement, de la maternelle à l’université. Toutes vont dans le même sens : rentabiliser, mettre les établissements en concurrence, liquider les diplômes nationaux, soumettre l’enseignement aux patrons. C’est un vaste puzzle dont les pièces s’emboîtent totalement, mais qui est présenté pièce à pièce, séparément, pour qu’on n’en comprenne pas la cohérence. Cette réforme est notamment en lien étroit avec celle qui fracasse l’université (la LRU) et celle des bacs pro en trois ans qui frappe l’enseignement professionnel.
Et cette réforme, qu’on l’aborde du point de vue des lycéens ou de celui des enseignants, est inacceptable.
Sarkozy, veut amadouer les lycéens car il redoute qu’ils se mobilisent. Il promet deux heures de soutien individuel pour chaque élève en Seconde, Première et Terminale. Mais ces heures de soutien « n’alourdiront pas les emplois du temps », Il y aura donc en même temps diminution des heures de cours. Les programmes seront aussi allégés(Sarkozy évoque de « nouveaux équilibres »), ce qui signifie un nouvel appauvrissement du bac : les poursuites d’études seront alors plus difficiles.
Et rien ne dit que ce soutien sera fait par les professeurs. Car, avec la réforme des concours, les étudiants en Master (M1 et M2), qui seront obligés de faire des stages dans les établissements, pourront être affectés en partie au moins à ces soutiens. Cela permettra de supprimer un très grand nombre de postes.
Sarkozy essaie également de faire plaisir aux lycéens en parlant de « droit à l’erreur » : les élèves pourraient ainsi changer de filière, en cours ou en fin d’année, et cela grâce à des « stages passerelles ».
Le ministre Chatel donne l’exemple d’un élève de Première S qui passerait en ES à Noël, rattrapant « les cours nécessaires, pendant une semaine sur les vacances de Noël, de février ou de printemps ». C’est bien sûr une plaisanterie : on ne peut pas rattraper, surtout pour un élève en difficulté, la différence des programmes entre deux filières en une semaine. Il s’agit en réalité d’éviter tout redoublement volontaire en Première (cela coûte trop cher pour Sarkozy) et de chasser de Première S les élèves insuffisamment productifs dans les disciplines scientifiques. Et les conseils de classe feront la pression.
On promet également aux lycéens d’en finir avec les redoublements (que le gouvernement juge coûteux). Là encore le proviseur, s’appuyant sur le conseil de classe, pourra faire pression : si un élève veut échapper au redoublement, il devra suivre durant un mois l’été des « stages de remise à niveau ». Les élèves en difficulté seront ainsi stigmatisés.
Et peu importe si l’élève avait prévu de travailler durant l’été pour gagner un peu d’argent, ou devait retourner au pays avec sa famille. Mais qui peut croire qu’on peut rattraper, en un mois, une année de retard ? Loin de permettre à un lycéen de se remettre véritablement à niveau, ce projet va au contraire renforcer le « tri social ». Mais pour Sarkozy, il s’agit d’économiser des milliers de postes d’enseignants.
Le gouvernement joue avec les mots : il critique le soi disant « élitisme » de la filière S, et pleure sur l’agonie de la filière Littéraire. D’où le projet de « rééquilibrer les filières ». En réalité, Le gouvernement veut chasser de la filière S les élèves qui ne sont pas sûrs de continuer des études scientifiques, et qui choisissent S parce que le bac S ne ferme aucune porte. Pour cela, il veut rendre la filière S encore plus sélective et spécialisée, en augmentant les coefficients des matières scientifiques.
Il s’agit donc de rentabiliser et rationaliser l’enseignement au lycée, avec une spécialisation accentuée. Ainsi, le ministère envisage de supprimer l’histoire-géographie en Terminale S (ou la réduire à 1 heures).
Même logique pour la filière L, que le patronat n’aime pas beaucoup. Il s’agit donc de la transformer en une filière « utile » aux entreprises, en accentuant la pratique de quelques langues vivantes.
Pour cela, on multipliera les assistants de langues (ce sont des locuteurs natifs). On développera les séjours à l’étranger, aux frais des familles. Et l’on fera des économies en regroupant les élèves par niveau : ce que l’on appelle, dans le cadre européen de référence pour les langues, les « groupes de compétences » (on peut ainsi mettre ensemble des élèves de LV1 et LV2, de Seconde et de Première, de S et de L…).
Et Sarkozy promet de développer l’éducation artistique, alors que l’on détruit les options d’arts et de langues « rares » ou anciennes. En réalité, cela se fera hors des cours, par vidéos notamment, avec un leitmotiv : défense du « patrimoine ». Le « devoir de l’école est de transmettre à chacun notre patrimoine commun, qui est fondamentalement culturel » affirme-t-il. Cette conception patrimoniale et cocardière de l’éducation artistique, qui refuse toute culture au-dessus des frontières et des patries, est parfaitement réactionnaire. Mais cela servira l’économie du tourisme, et la propagande de la bourgeoisie française.
Dévaloriser le bac, c’est un vieil objectif du patronat. Le ministre prétend que le bac sera préservé ; « on n’y touche pas, le bac c’est une institution. Mais il évoluera forcement puisque nous réformons. ». Il est donc préservé en apparence pour éviter les protestations. Mais l’objectif est de réduire les épreuves nationales anonymes, en développant le contrôle continu, en commençe;ant par les langues vivantes.
Autre moyen de dévaloriser le bac : offrir des points au lycéen qui « prend des responsabilités au sein de l’établissement » ou « dans une association ». Cela permettra d’ « acheter » les élèves qui collaborent à la politique scolaire du gouvernement, ou qui s’occupent d’associations…conformes à la politique du gouvernement. On veut apprendre aux lycéens la servilité. Pour cela, « l’engagement des élèves sera formellement reconnu, grâce à la mise en place du livret de compétences imaginé par Martin HIRSCH ». Et, bien sûr, ce livret permettra le fichage des élèves.
Le Figaro explique : « Richard Descoings a précisé que ce livret servirait à compléter l’image que les universités et les grandes écoles peuvent se faire d’un élève, en mettant en lumière d’autres aspects de sa personnalité ». Cela revient à dire que le baccalauréat ne sera plus le moyen suffisant pour aller dans l’Université et la filière de son choix. Ce qui comptera, ce sera le livret de compétence.
Enfin les stages en entreprise seront « fortement encouragés » ce qui revient, comme à l’université, à multiplier les stages non payés au profit des patrons et au détriment des enseignements. Nul doute que les stages en entreprises seront consignés dans ces livrets de compétences. Avec les avis des patrons ?
Rappelons que c’est ce même Martin Hirsch, membre du gouvernement, qui a inventé un scandaleux projet destiné soi disant destiné à lutter contre l’absentéisme scolaire : utiliser de l’argent pour gérer le comportement des élèves, assurer le financement des projets pédagogiques selon l’attitude des élèves.
Très vite, ce livret de compétence sera plus important que le bac. Or le baccalauréat, à la différence d’un livret d’information sur la personne, est un examen et c’est la seule garantie d’une réelle équité entre les candidats. Mais on n’aura pas « touché » à celui-ci ! Et l’on pourra donc réintroduire une sorte de livret de travail qui suivra l’étudiant puis le travailleur (comme le veut le patronat) tout au long de la vie. Un vrai retour au XIX° siècle.
Qui va assurer l’ensemble de ces stages et soutiens ? Comment sera organisé l’enseignement en lycée ? Les discours de Sarkozy et de Chatel donnent de premières réponses.
Pour faire travailler les enseignants pendant les vacances, le volontariat ne peut suffire. La pression va donc devenir de plus en plus forte grâce à la « revalorisation » que le gouvernement veut mettre en œuvre dès le début de l’année 2010 : non pas une augmentation générale des salaires, mais des salaires et des promotions au mérite : « je veux aujourd’hui vous proposer un nouveau « pacte de carrière » déclare Chatel le 1er octobre « mais le cadre statutaire ne saurait être l’alpha et l’oméga de toute politique de gestion des ressources humaines ». « Demain, la réforme des lycées sera l’occasion de proposer de nouvelles missions aux enseignants qui souhaiteront s’engager davantage ».
Et le ministre annonce « des heures supplémentaires en partie défiscalisées, et une prime spéciale de 500 euros pour les enseignants qui effectuent dans le secondaire un service supplémentaire d’au moins 3 H.S.A. » (Heures Supplémentaires Année). Enfin « je souhaite que soit mis en place un nouveau grade accessible à ceux dont l’engagement et l’investissement auront été particulièrement importants ».
A cela va s’ajouter très rapidement une autre « solution » pour le gouvernement : si la mise en œuvre de la réforme des concours et formation n’est pas bloquée, des dizaines de milliers d’étudiants considérés comme « aptes à enseigner » à l’issue du Master 2° année mais qui auront échoué aux concours, seront recrutés directement comme contractuels…à condition qu’ils acceptent de travailler durant les vacances.
Le gouvernement n’avait pu annualiser le temps de travail des enseignants (qui n’avaient pas été touchés par les lois Aubry). La réforme des lycées va le permettre, grâce aux stages durant les vacances et aux aménagements de programme et d’horaires qui seront laissés pour une part au soin des établissements.
Les enseignants, comme les élèves, seront invités à « effectuer des stages d’observation en entreprise », pour qu’ils puissent mieux s’occuper de l’orientation des élèves…à la place des conseillers d’orientation.
Cette réforme n’est donc pas une réforme « allégée ». C’est le premier temps d’une offensive en deux temps, comme le préconisait Descoings : rénovation d’abord, puis refondation. Cette dernière redéfinirait les missions et les services des enseignants. Cette manière de procéder vise à éviter une vague de forte résistance. Si ce projet passe, il ouvrira donc immédiatement la voie à une seconde étape, conforme à la politique générale de Sarkozy, conforme à la LRU et à la mastérisation : l’objectif est de casser les statuts nationaux des enseignants, de casser les programmes et diplômes nationaux, de démanteler l’enseignement public.
Dans cette optique, les enseignants titulaires seront chargés de quelques cours magistraux (car, selon Sarkozy, c’est à quoi se réduirait aujourd’hui le travail des professeurs !) et quelques uns d’entre eux deviendraient des sortes de contremaîtres chargés d’organiser le travail d’une myriade de précaires. Pour ces professeurs zélés, il y aura un « nouveau grade ». Et, sous leurs ordres, s’activeront les précaires, les vacataires, sous-payés et voués à des tâches d’exécution.
Cette réforme participe d’une offensive générale présentée en pièces séparées. Elle est indissociable de la loi d’autonomie des universités (lesquelles vont « conseiller » c’est-à-dire « choisir » et orienter de manière musclée les bacheliers qui veulent aller à l’Université), de la mastérisation des concours, et de la soi-disant revalorisation des salaires. Par exemple, le transfert des enseignants de lycée vers l’université va être systématisé : « Les services partagés de professeurs, à cheval entre le scolaire et le supérieur, seront développés », ce qui permettra d’économiser sur les postes d’universitaires. Le point commun à ces réformes est de généraliser l’autonomie, de développer la concurrence entre les établissements et l’inégalité, pour briser les statuts des personnels et organiser la division entre ceux-ci.
De même, cette réforme complète celle engagée en Lycées Professionnels, qui généralise les bacs pro en trois ans. Il s’agit d’avancer vers un vieil objectif, la fusion des bacs technologiques et des bacs pro. Et l’on réservera les IUT aux élèves sortant de ces types de bac. Sarkozy veut créer « un véritable parcours technologique » allant jusqu’à des « métiers d’ingénieurs et de techniciens supérieurs ». Ce qui impliquera de modifier ce que recouvrent ces titres, ou d’en créer de nouveaux, correspondants aux besoins patronaux, que l’on pourra payer moins que les actuels ingénieurs et techniciens supérieurs.
C’est donc la résistance unie qui est nécessaire pour imposer le retrait de ce projet de réforme. Cela est inséparable d’une exigence première : que les dirigeants syndicaux refusent toute discussion de ce projet.
Ce n’est pas un hasard si Sarkozy, le 13 octobre, a salué les mois de concertation qui ont abouti au rapport Descoings, sur lequel s’appuie Sarkozy. Rappelons que le projet Darcos, en 2008, comme le rapport Descoings puis la réforme Sarkozy en 2009, s’appuient sur les « points de convergences » signés par le ministre et la plupart des syndicats, dont le SNES, en juin 2008.
La même méthode est annoncée pour la suite : Luc Chatel a réuni le 13 octobre les représentants syndicaux pour amorcer des discussions sur les modalités de mise en œuvre de la réforme. Ces discussions vont se poursuivre pendant deux mois. Et Sarkozy veut aller vite : la réforme devrait entrer en œuvre dès septembre 2010 pour la classe de Seconde.
La direction du SNES, principal syndicat du second degré, s’est d’abord montrée élogieuse pour ce projet : « le Président a répondu à des demandes fortes du SNES ». Et elle a annoncé qu’elle participerait à la concertation. » …La plupart des autres directions syndicales se sont précipitées également pour dialoguer avec le ministre, à l’exception de ceux qui ne sont pas invités parce qu’ils n’avaient pas, en juin 2008, signé les points de convergence. C’est le cas de FO et de SUD (critiques vis-à-vis de cette réforme).
Puis, fin octobre, la direction du SNES a commencé à expliquer que la Réforme Chatel « n’était pas notre réforme ». On pouvait s’en douter. Il est ainsi apparu que la semestrialisation qui figurait dans les projets Darcos et Apparu (voire la trimestrialisation proposée par le rapport Descoings) serait introduite de manière masquée : les enseignements dits "d’exploration" (1h30 chacun) pourraient être organisés "librement" par les établissements. Et la mise en place de "sas" destinés à permettre la réorientation en cours d’année délimiteraient ces semestres (ou ces trimestres) : classes à géométrie variable, emplois du temps variables...et annualisation des temps de service seraient, par ce biais, généralisés.
Mais la direction du SNES n’en poursuit pas moins la concertation au lieu de rompre et d’organiser la mobilisation générale pour le retrait de ce projet.
Il appartient donc aux enseignants et aux lycéens, à tous ceux qui veulent interdire cette réforme, de s’organiser sans attendre, dans et hors les syndicats, contre ce projet.
Cela inclut l’exigence que, de manière claire, soit menée le combat, dans les syndicats enseignants, dans les organisations lycéennes, pour que les responsables syndicaux cessent de soutenir ce projet, en exige le retrait, et mettent donc fin à cette concertation.
Ils ne le feront pas d’eux-mêmes. La mobilisation devra le leur imposer.