Continental : une mobilisation exemplaire dans une situation difficile
« Pourtant nous savions que seule une lutte commune, nous rassemblant par dizaines de milliers, et même beaucoup plus, pourrait être en mesure de mettre en échec les plans patronaux en leur imposant par la force, le seul moyen réaliste, l’interdiction des licenciement collectif et la réquisition de la fortune amassée par les actionnaires pour garantir le salaire et l’emploi de tous. A chaque fois, nous avons tout fait pour tendre la main aux autres travailleurs. Malheureusement nous avons été réduits au bout du compte nos seules forces et nous avons dû fixer les objectifs maximums qu’une lutte de 1120 travailleurs pouvait obtenir. Et ces objectifs nous les avons atteints, à cent pour cent (...) ».
Cet extrait d’un discours de Xavier Mathieu, délégué CGT de l’usine Continental à Clairoix, fait référence à deux types de luttes : la première ne peut être gagnée que nationalement, c’est l’interdiction des licenciements ; l’autre, plus locale consiste à différer et indemniser les licenciements. Nombre de travailleurs de Continental auraient souhaité mener la première lutte, mais cela n’a pas été possible. Pourquoi ? À cette lutte contre les licenciements s’est substituée une lutte pour le report et l’indemnisation des licenciements. Cette dernière lutte constitue une réelle victoire sur le patronat. Comment a-t-elle été gagnée ?
Le 11 mars 2009, la fermeture de l’usine de Continental-Clairoix (1120 travailleurs) est annoncée. En 2007, la CFTC majoritaire et la CFE-CGC avaient signé un accord de retour aux 40 heures, entraînant ainsi l’abandon des 35 heures, en échange de la garantie de l’emploi jusqu’en 2012. Aussi en mars, à l’annonce de la fermeture de l’usine, le personnel se sent trahi et décide d’engager le combat. C’est la CGT, jusque là minoritaire, qui se retrouve alors à la tête de la lutte.
Le combat s’engage sur : le refus de la fermeture du site, zéro licenciement, la continuation des contrats de travail et salaires jusqu’à 2012, l’engagement de l’Ètat à mettre sous séquestre les biens de Continental en vue d’obtenir le respect de leurs droits. Mais face à la détermination de la direction et l’isolement de la grève des Conti, les Conti sont obligés de modifier leur axe de combat : la bataille contre les licenciements laisse alors place à la négociation. Mais cette négociation est basée non pas sur le plan social de la direction mais sur les revendications des Conti : l’objectif est de différer les licenciements et d’obtenir des primes de licenciements.
L’interdiction des licenciements collectifs est un mot d’ordre juste. Toutefois, pour arracher cette revendication à la bourgeoisie, il faut un rapport de force important, à même d’imposer une décision nationale. Cela implique, en premier lieu, la mobilisation de toute la classe ouvrière, et la centralisation de son combat en une coordination nationale (ou comité de grève) intégrant les syndicats. Le rôle des syndicats est de défendre les revendications des travailleurs et donc de porter leurs mots d’ordre.
Or il faut savoir qu’en en cas de fermeture d’usines, les directions syndicales, et notamment celle de la CGT, préconisent aujourd’hui des plans de reclassement : les travailleurs doivent alors souvent accepter des emplois moins qualifiés et situés loin de leur domicile. Soutenant de tels plans de reclassement, qui acceptent de facto les licenciements, les dirigeants syndicaux ne peuvent soutenir en même temps les mouvements qui exigent « zéro licenciement ». Leur soutien aux plans de reclassement les conduit également à tourner le dos aux travailleurs qui exigent le « report des licenciements » et le versement de primes de licenciements en plus des primes conventionnelles. L’obtention de ces primes inhabituelles est un résultat tangible pour un travailleur licencié. En outre, ces primes sont un moyen de récupérer une part de la plus-value extorquée par les patrons aux travailleurs.
Les travailleurs de Continental se sont heurtés à la direction de la CGT (et à celles des autres syndicats CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) qui a refusé de soutenir leur mouvement. Malgré cet isolement et l’absence de soutien de la part des dirigeants syndicaux, les Conti ont obtenu « une moyenne de 80 000 euros par salarié et jusqu’à 100 000 euros pour les ouvriers de fabrication les plus anciens et 150 000 euros pour les techniciens et la petite maîtrise », ainsi que le maintien de tous les contrats de travail pendant 27 mois (donc au-delà des dates de licenciements prévus dans le plan de la direction).
L’organisation des AG et leur fréquence ont permis aux Conti de construire une unité entre l’ensemble des travailleurs et de leurs dirigeants syndicaux, clef de la victoire. Une AG s’est tenue chaque jour. C’est en Assemblée générale, devant 600 personnes au minimum, jusqu’à 800 voire 900, que toutes les décisions étaient prises, à la majorité des salariés de l’usine. En outre les AG opéraient à l’élection d’un comité de lutte. Ce comité de lutte réunissait 80 personnes, syndiqués et non-syndiqués et dont la quasi-totalité des responsables des syndicats, y compris des cadres. Cette présence des syndicats au sein du comité, et sous contrôle des AG, est une étape clef dans la construction de l’unité. Elle a en effet empêche la direction de diviser le personnel, en tentant de « négocier » avec l’un ou l’autre des syndicats (une telle unité n’a pas été réalisée dans le mouvement des universités, et a permis stratagèmes et discussions de la part du gouvernement).
La tenue de telles AG a permis aux travailleurs de Continental de mener des négociations à partir de leurs revendications. Toutefois, ces négociations n’ont pu être obtenues sans que les Conti montrent leur rapport de force et inquiètent le gouvernement : les négociations tripartites (direction internationale du groupe Continental, gouvernement et Conti) promises depuis six semaines n’ont pu être mises sur pieds qu’après des mouvements de colère, de nombreuses manifestations et notamment des occupations d’usine.
Si la lutte des Conti est exemplaire dans son mode d’organisation du combat et les revendications qu’ils ont arrachés, l’État bourgeois, en rompant une parie des accords tripartites dans lesquels il y avait engagement d’abandonner toutes les poursuites et en condamnant six travailleurs de Continental, cherche aussi à faire un exemple : derrière la condamnation des six Conti, c’est l’ensemble du mouvement ouvrier qui est visé. Mais l’organisation des AG à Continental permettant de construire l’unité sur un site par le contrôle des syndicats par les travailleurs, est un pas en avant au compte de l’ensemble des salariés et de la jeunesse.
Ce mode d’organisation a montré sa puissance. Cette méthode peut être reprise et développée sur plusieurs sites et à l’échelle nationale. Elle peut permettre de construire l’unité incluant les syndicats (voire les partis) sur le mot d’ordre plus large : aucun licenciement ; interdiction de tous les licenciements (boursiers ou non).