Chili : une Convention constituante et non une Assemblée constituante souveraine
C’est en octobre 2019 qu’ont éclaté des manifestations déclenchées par l’annonce d’une hausse inacceptable de 30 pesos du prix du ticket de transport. Cette hausse du prix des tickets de métro a été le point de départ d’une puissante mobilisation des étudiants : une mobilisation spontanée qui s’est rapidement élargie à l’immense majorité des travailleurs, chômeurs, étudiants, retraités. Elle fut durement réprimée.
« No es por 30 pesos, es por 30 años »
Le 25 octobre 2019, près de trois millions de personnes sont descendues dans la rue pour manifester, dont plus d’un million rien qu’à Santiago, ce qui est peut-être la marche la plus massive de l’histoire du pays.
Cette mobilisation a remis en cause toute la politique conduite par les différents gouvernements successifs depuis la fin de la dictature de Pinochet en 1990, gouvernements agissants tous dans le cadre de la Constitution de 1980 préservant « l’héritage » des années Pinochet. En témoigne le slogan des manifestants : « Ce n’est pas 30 pesos, c’est 30 ans ».
Et des banderoles et des affiches revendiquaient un autre système de retraite, le droit à la santé, à l’éducation, au logement.
Cette situation a conduit le président Piñera et les partis du gouvernement à passer un accord avec l’ensemble des partis d’opposition, pour ouvrir la perspective d’un référendum censé permettre d’en finir, ou non, avec la constitution héritée de la dictature.
Ne pouvant plus contrôler la mobilisation, l’ensemble des partis se sont mis d’accord pour canaliser la contestation dans une voie institutionnelle.
Cela fut d’autant plus simple que l’exigence d’en finir avec la Constitution héritée de Pinochet avait été largement exprimée par les manifestants. Certes, il y avait déjà eu des réformes partielles de cette Constitution. En 1989 avaient été éliminés les aspects les plus grossièrement antidémocratiques de la Constitution de 1980. En 2005, de nouvelles modifications avaient été opérées.
Mais la Constitution de 1980 restait le point d’ancrage institutionnel pour les éléments clés, les plus réactionnaires, du modèle socio-économique ultra libéral. D’où le caractère populaire de l’exigence d’en finir véritablement avec cette Constitution.
Un accord pour la paix sociale
Le véritable objectif de cet accord est donné par son intitulé : « Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution »
Le nom même de l’« Accord » du 15 novembre – littéralement annoncé au milieu de la nuit – indique clairement que le premier et principal objectif de cet accord au sommet était la « paix sociale », c’est-à-dire la préservation du modèle économique et social existant, celui du capitalisme sous sa forme la plus brutale.
Il s’agit d’une manœuvre pour tenter de démobiliser les millions de chiliennes et chiliens qui, depuis le 18 octobre 2019, ont continué – malgré la dure répression – à affirmer leurs revendications dans la rue.
Le refus d’une véritable assemblée constituante
Le terme d’Assemblée constituante n’a pas été inclus dans l’« Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution ». Il n’y aura donc pas d’Assemblée constituante libre et souveraine, mais une « convention ».
Le dispositif instauré pour discuter de la « nouvelle » constitution est très encadré, limité dans ses capacités, ce qui est la négation même d’une véritable assemblée constituante.
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Ainsi, chaque article de cette future constitution devra obtenir un quorum de 2/3 des voix dans le futur organe chargé de rédiger le projet de la nouvelle Constitution. Ce qui permettra aux forces les plus réactionnaires de s’opposer à tout article qui ne leur conviendrait pas. Ce ne sont donc pas les « constituants » qui pourront décider eux-mêmes de la manière dont ils fonctionnent.
Qui plus est, le texte de l’accord énumère une série de sujets tabous qui ne pourront pas être remis en cause (comme les traités internationaux signés par le Chili).
Et avant même que puissent se réunir les élus chargés d’écrire cette Constitution, l’accord du 15 novembre 2019 prévoyait la tenue d’un référendum afin de décider d’abord s’il fallait vraiment une nouvelle constitution…
Ce référendum préalable se tint finalement le 25 octobre 2020.
Le modèle de la transition espagnole
Petit rappel : en 1988, Pinochet, déjà fatigué mais toujours là grâce à son état policier, dut organiser un plébiscite autour de sa personne. Il perdit mais resta chef des armées et député à vie afin d’organiser son impunité (ce qu’il réussit à faire jusqu’à la fin même lors de sa détention quatre étoiles au Royaume-Uni, en 1998, détention imprévue suite à un mandat d’arrêt international du juge espagnol Garzon pour 3 051 disparitions et assassinats. Bizarrement, Garzon sera mis à la retraite par le très démocratique Tribunal Suprême espagnol en 2008 pour ses investigations sur les crimes du franquisme).
La « transition » espagnole a toujours été le modèle des dictatures américaines qui souhaitent un vernis démocratique. Aujourd’hui, en Espagne, la Constitution post-franquiste et monarchique est toujours là...
25 octobre : un vote pour en finir avec la « transition » chilienne et la constitution de 1988.
On l’a vu, le référendum du 25 octobre 2020 n’avait pas pour but d’installer une Assemblée constituante souveraine, mais de canaliser la mobilisation des masses, vers un simple aménagement du système. Mais les masses s’en sont saisi pour faire entendre leurs exigences.
Le référendum posait deux questions :
1/ La demande d’une nouvelle Constitution ou non (le gouvernement appelant à voter « non »).
2/ Mais aussi « qui » devrait la rédiger. Cette deuxième question dépendait directement de la première bien sûr.
Un second bulletin était donc à remplir, pour choisir entre deux options :
Soit : une Convention Constituante formée de membres élus.
Soit une Convention formée par moitié de 50 % d’élus et 50 % de parlementaires actuellement en fonction.
Cette option avait le soutien du gouvernement.
Le 25 octobre, 79% des votants se sont prononcés pour un changement de Constitution. Cette approbation est particulièrement forte dans les communes les plus pauvres, pouvant atteindre 87 voire 88% des suffrages exprimés. À l’inverse, El Rechazo (le rejet d’une nouvelle Constitution) n’a gagné que dans les trois communes les plus riches du pays.
Ceci avec 50 % de suffrages exprimés. Ce taux de participation peut sembler faible mais en réalité, pour le Chili, marque une nette progression, par comparaison avec la dernière élection présidentielle notamment. Cette progression est très nette dans les communes populaires. Elle passe de 43 à 57% à Puente Alto, et de 52 à 62% à Maipú, la deuxième commune la plus peuplée du pays.
Ainsi le peuple chilien, malgré l’action des forces répressives, a été on ne peut plus clair : il a exigé d’en finir avec la constitution héritée de Pinochet.
Quant au choix des membres de la Convention, c’est la première solution qui a été adoptée à presque 80 %.
L’ampleur du « oui » a surpris le gouvernement. C’est un choc pour les partis au pouvoir, qui s’attendaient à obtenir un tiers des voix. La coalition au pouvoir s’en trouve fragilisée.
Le gouvernement a donc nettement « perdu » sur ce double vote, mais il n’en reste pas moins au pouvoir et peut espérer terminer normalement son mandat.
Processus de désignation de la Convention.
Une échéance majeure est fixée pour le 11 avril 2021 ; il s’agira d’élire les 155 membres de l’Assemblée (la « Convention constituante ») chargée de rédiger la future constitution.
Cela imposait une étape préalable, fixée au 11 janvier : l’enregistrement de tous les candidats à cette Convention. Au final, plus de 3.000 candidats ont été enregistrés. Parmi eux : plus de 900 sont présentés par des partis politiques, la coalition au pouvoir ne présentant qu’une seule liste tandis que l’opposition de « gauche » présentera 5 listes.
À ces listes de partis s’ajoutent 2.226 candidats prétendument « indépendants » des partis, chacun de ces candidats devant réunir 500 parrainages. Figurent parmi ces indépendants 185 candidats issus des communautés amérindiennes, pour lesquelles 17 sièges sont réservés.
Le 11 avril, les Chiliens seront également appelés à élire leurs maires et gouverneurs. Le 21 novembre, ils se rendront à nouveau aux urnes pour l’élection présidentielle.
Tout dépendra de la mobilisation des masses
On le voit : le processus est très encadré et, en soi, ne menace pas l’ordre bourgeois.
Qui plus est, il a largement contribué (avec la pandémie et les mesures de confinement) à faire refluer le mouvement des masses. Mais ce processus peut aussi être bousculé par le resurgissement du mouvement spontané des masses, qui se trouvent confrontées aux conséquences catastrophiques de la crise sanitaire et de la crise économique.
C’est ainsi qu’en octobre 2020, avec la fin des premières mesures sanitaires, des manifestations ont repris.
La violence policière a elle aussi repris. Le 2 octobre, un garçon de 16 ans a été jeté dans le lit asséché d’une rivière par un policier, et gravement blessé. Le policier fut mis en détention. Cela n’a pas suffi.
Le mardi 3 novembre, le ministre chilien de l’Intérieur, Victor Pérez, devait démissionner.
Et, dans tout ce processus de mobilisation, la jeunesse et les femmes jouent un rôle central, en même temps que ces dernières développent leurs propres mobilisations, notamment contre le viol, les féminicides, et pour le droit à l’avortement, rejoignant ainsi les mobilisations analogues qui se tiennent en Argentine.
Le 20 janvier 2021
Image : Santiago, 24 octobre 2019